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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

nuage de fumée. La pluie n’avait pas cessé de tomber depuis plusieurs jours, la terre était imprégnée d’eau, et les marais devenaient de plus en plus difficiles à franchir. Nous avions quitté à Kautokeino notre vieux Lapon, notre bon Mikel, qui avait déclaré ne pas connaître assez bien le reste de la route pour pouvoir nous conduire. Nous avons pris à sa place un guide inexpérimenté, qui nous menait au milieu des broussailles les plus épaisses, sur le terrain le plus mobile. Nous arrivâmes le soir au bord d’un large marécage qu’il fallait traverser. Le premier d’entre nous qui essaya de passer enfonça jusqu’aux genoux, et son cheval tomba si lourdement dans la vase, qu’il fallut quatre hommes pour le relever. Un autre le suivit, et ne fut pas plus heureux. Son cheval resta couché dans l’eau, suant, soufflant, essayant d’étendre ses jambes d’un côté ou de l’autre, de se cramponner à quelques racines, et ne trouvant aucun appui. Si un cheval de bagage avait été engagé dans la même voie, il était infailliblement perdu. Nous allâmes à la recherche d’un autre chemin, et nous ne le trouvâmes qu’après avoir fait un long détour inconnu à notre guide. À peine ce premier obstacle était-il franchi, que nous en rencontrâmes un second, puis un troisième ; et il fallait à chaque instant tâter le terrain, prendre les chevaux par la bride, les soutenir de chaque côté, ou leur faire faire de larges circuits pour les conduire sur la terre ferme. Cependant on ne voyait plus au ciel aucune ligne d’azur et aucune étoile. La nuit sombre ne nous permettait pas même de distinguer le sentier étroit qu’il fallait suivre et les rameaux d’arbres qui se croisaient sur notre tête. Tantôt nous glissions au bord d’une pente rapide, tantôt nous nous heurtions la tête contre les branches de bouleaux, et, à travers cette route parsemée de flaques d’eau ou de dalles glissantes, le plus sûr encore était de nous abandonner à l’instinct de nos chevaux. Nous les laissâmes sonder eux-mêmes avec le pied le sol que nous devions parcourir, et ils nous portèrent ainsi pendant plus de deux heures. Vers le milieu de la nuit, nous vîmes briller dans les ténèbres un grand feu. M. Lœstadius, qui nous avait précédés, l’avait fait allumer comme un phare, pour nous servir de guide. Nous traversâmes, sur les légers bateaux du pays le fleuve Muonio, et, un instant après, la chaleur d’un bon poêle, l’aspect d’un lit, l’accueil amical de toute une famille, nous faisaient oublier nos fatigues. Nous étions dans le presbytère de Karesuando.


X. Marmier.