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reçu Louis-Philippe dans le cours de son voyage septentrional. Une femme de quatre-vingt-dix ans, que nous allâmes visiter dans sa cabane, se souvenait encore de l’avoir vu. « Je ne sais, nous dit-elle, si c’était un prince, mais je sais que c’était un grand personnage dont nos voisins s’entretinrent longtemps au foyer de mon père. »

Après avoir visité l’église, l’école et les maisons des deux rives du fleuve, les unes habitées par les Lapons, les autres par les Finlandais, nous partîmes de Kautokeino ; nous nous retrouvâmes sur une route sauvage, nue et dépeuplée, comme celle que nous avions parcourue deux jours auparavant. Puis, un peu plus loin, nous vîmes reparaître les tapis de mousse de renne, les bouleaux à la tige légère, au feuillage élégant. Ils étaient dispersés à travers la campagne, comme des groupes d’arbres dans un grand parc, et ce retour de végétation souriait à notre pensée et égayait nos regards. Ailleurs nous avions été absorbés par le spectacle d’une nature déserte et désolée ; ici nous commencions à songer aux régions du sud. L’aspect d’un rameau vert, les pointes de gazon autour d’un tronc d’arbre, rappelaient à notre souvenir les belles forêts, les riches vallées de la France. Si une fleur s’était épanouie sur ce gazon, si une hirondelle avait rasé la surface du sol, nous aurions demandé à la fleur quel vent du sud l’avait apportée dans ces plaines lointaines, et, comme le captif de Béranger, nous aurions dit à l’hirondelle de nous parler de notre mère et de notre sœur. Mais il n’y avait point encore de plante fleurie, point de chant d’oiseau ; et toute cette végétation ne nous plaisait tant que parce que nous la comparions aux tiges sans sève, aux racines avortées que nous avions vues à quelques lieues de là. Déjà les derniers jours d’août l’avaient flétrie, les grands bouleaux avaient une teinte jaune ou pourprée, et les bouleaux nains, couchés sur le sol, étaient rouges comme du sang.

À midi, nous arrivâmes à Kalanito (prairie de pêche). Il y a là une cabane et deux hangars, bâtis en forme de cône avec des pieux recouverts de mousse. C’est la dernière habitation du Finmark. Elle appartient à un paysan qui passe l’été à Kautokeino, et vient ici l’hiver. Il possède une cinquantaine de rennes, qu’il donne à garder à un Lapon nomade, deux vaches et dix brebis. Il récolte un peu d’herbe autour de sa demeure, et complète ses moyens de subsistance en allant à la pêche une partie de l’année.

Le lendemain, nous étions dans la Laponie russe. Nous trouvâmes à Suwajervi (lac profond) une autre cabane non moins misérable, non moins délabrée que celle de Kalanito. Une vieille femme nous fit entrer dans une chambre sombre, où des poissons fumés pendaient au plancher, entre des bottes de pêcheur et des lambeaux de vêtement. Nous demandâmes du lait, et on nous l’apporta dans un vase si sale, que nul de nous n’eut le courage d’y porter les lèvres. Les planches de la porte étaient disjointes, les vitres de la fenêtre remplacées par des chiffons. Le vent soufflait de toutes parts. Nous essayâmes de nous réchauffer en nous serrant autour de la cheminée ; mais elle était remplie de broussailles vertes et humides, d’où il ne sortait qu’un