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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/635

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L’ABBESSE DE CASTRO.

en indiquant à sa mère le lieu où elle s’était retirée, ils consentirent à lui servir d’escorte jusqu’à la forteresse de la Petrella. Hélène et Marietta, toujours déguisées en ouvriers, se rendirent à pied et de nuit à une certaine fontaine située dans la forêt de la Faggiola, à une lieue d’Albano. Les moines y avaient fait conduire des mulets, et, quand le jour fut venu, l’on se mit en route pour la Petrella. Les moines, que l’on savait protégés par le prince, étaient salués avec respect par les soldats qu’ils rencontraient dans la forêt ; mais il n’en fut pas de même des deux petits hommes qui les accompagnaient : les soldats les regardaient d’abord d’un œil fort sévère et s’approchaient d’eux, puis éclataient de rire et faisaient compliment aux moines sur les grâces de leurs muletiers.

— Taisez-vous, impies, et croyez que tout se fait par ordre du prince Colonna, répondaient les moines en cheminant.

Mais la pauvre Hélène avait du malheur ; le prince était absent de la Petrella, et quand, trois jours après, à son retour, il lui accorda enfin une audience, il se montra très dur.

— Pourquoi venez-vous ici, mademoiselle ? Que signifie cette démarche mal avisée ? Vos bavardages de femmes ont fait périr sept hommes des plus braves qui fussent en Italie, et c’est ce qu’aucun homme sensé ne vous pardonnera jamais. En ce monde, il faut vouloir ou ne pas vouloir. C’est sans doute aussi par suite de nouveaux bavardages que Jules Branciforte vient d’être déclaré sacrilége et condamné à être tenaillé pendant deux heures avec des tenailles rougies au feu, et ensuite brûlé comme un juif, lui, un des meilleurs chrétiens que je connaisse ! Comment eût-on pu, sans quelque bavardage infâme de votre part, inventer ce mensonge horrible, savoir que Jules Branciforte était à Castro le jour de l’attaque du couvent ? Tous mes hommes vous diront que ce jour-là même on le voyait ici à la Petrella, et que, sur le soir, je l’envoyai à Velletri.

— Mais est-il vivant ? s’écriait pour la dixième fois la jeune Hélène fondant en larmes.

— Il est mort pour vous, reprit le prince, vous ne le reverrez jamais. Je vous conseille de retourner à votre couvent de Castro ; tâchez de ne plus commettre d’indiscrétions, et je vous ordonne de quitter la Petrella d’ici à une heure. Surtout ne racontez à personne que vous m’avez vu, ou je saurai vous punir.

La pauvre Hélène eut l’ame navrée d’un pareil accueil de la part de ce fameux prince Colonna pour lequel Jules avait tant de respect, et qu’elle aimait parce qu’il l’aimait.