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tendait par opinions tories, ces doctrines de conservation professées naguère par les whigs ; par opinions whigs, les théories de la réforme modérée ; enfin, par opinions radicales, les ardeurs de réforme complète et violente. Ce dernier parti, le plus jeune et le moins prudent, venait d’éclore du sein même de la nouvelle Angleterre ; il fallut céder au temps et changer le mode électoral ; faire plus large part, dans les communes, à la puissance populaire, élargir les voies de la représentation. Des esprits ainsi occupés, livrés à tels intérêts, préparant ou suspendant l’avenir, agités de soins tellement graves, fatigués d’ailleurs d’admiration pour leurs derniers chefs-d’œuvre, ne devaient pas renouveler de si tôt le phénomène littéraire de la génération précédente. Les poètes abondaient, échos affaiblis de la pensée des maîtres, qu’ils développaient en vapeurs harmonieuses ; les historiens devenaient collecteurs de faits plutôt qu’interprètes du passé ; les gens d’esprit exploitaient leur talent au lieu de le suivre. Les Revues servaient encore de nombreux abonnés ; mais ce n’était plus ni l’injustice, ni la verve, ni la satire dialectique des cruels analystes que Byron avait subis et frappés. Ainsi s’annonçait une autre génération littéraire ; armée nombreuse, dont les caractères sont moins prononcés, les haines moins ardentes, les querelles moins vives. Ceux qui la composent ne se dessinent point avec la netteté originale et dans l’attitude hardie de leurs prédécesseurs, et au-dessus d’eux on aperçoit encore les restes vivans de l’ancienne école, qui les dépassent et les dominent.

Parlons de ces maîtres que personne n’a encore abandonnés. Nous ne choisirons que les vivans ; puis leurs fils et leurs élèves se montreront devant nous tour à tour, et nous pouvons promettre, non le mérite des appréciations, mais leur sincérité, un jugement qui ressorte naïvement de nos impressions, la fleur même de nos lectures et de notre intimité prolongée avec cette littérature, surtout l’exil de toutes les banalités, le rejet total des vaines rumeurs que le prospectus ou la satire, la complaisance ou la haine, versent perpétuellement dans l’oreille publique.

Quelques-uns datent de loin : Southey, par exemple, aujourd’hui le patriarche de la doctrine conservatrice et le panégyriste de l’église anglicane ; esprit profond et ardent, colorant sa prose érudite, et qui n’a point perdu, dans son dernier âge, l’inspiration qui étincelle dans ses vers passionnés. Il était né pour l’épopée, et c’est un des écrivains que le génie français est le moins appelé à comprendre. Notre première révolution donna l’impulsion à son intelligence ; on se rappelle