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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/681

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DE LA LITTÉRATURE ANGLAISE.

dité du succès le séduisent. Il semble que les pages éclatantes ou subtiles qu’il publie attendent encore une maturité définitive, et que les puissantes caresses d’un soleil plus chaud et plus obstiné eussent donné la perfection à ces fruits hâtifs. Les premiers romans de M. Bulwer, qui contenaient une assez forte dose de fatuité, s’emparèrent de la mode ; nul roman fashionable ne se recommandait par le mérite d’un style aussi vif, aussi net et aussi soigneusement poli. La vogue de Pelham, de Paul Clifford et du Méconnu (Disowned, le désavoué), ouvrit à l’auteur la route de la fortune et du crédit ; jeune, les succès de salon l’accueillaient ; son époque lui conseillait le luxe ; de notre temps, la simplicité de la vie semble attester la pauvreté de l’esprit, et l’exploitation commerciale du talent passe pour génie. La génération nouvelle, laissant Thomas Campbell, pauvre, vivre modestement avec deux cents livres sterling par an, voulait trouver le laurier d’or dans les champs poétiques. M. Bulwer multiplia ses produits, chercha le bruit des salons et les honneurs parlementaires, fut élu membre des communes, essaya d’y créer un nouvel intérêt, celui des gens de lettres, dont il se porta représentant ; et sans cesse, donnant au public de nouveaux ouvrages, discourant, pérorant, discutant, se chargeant de diriger les enquêtes politiques ; faisant jouer des tragédies peu remarquables et imprimer des pamphlets peu significatifs, en même temps que des vers élégans et des romans d’un ordre supérieur, il finit par recevoir de la jeune reine Victoire le titre de baronet. Vie brillamment laborieuse ! avec une témérité plus âpre au scandale et une impertinence plus prononcée, ce serait Beaumarchais. M. Bulwer, sans mener aucun parti, est l’éclaireur du libéralisme ; il marche en avant et ne guide personne. La société anglaise, dont il a blessé les convenances et les lois, ne le ménage guère. Comme littérateur, non comme orateur, il a de l’influence à la chambre ; situation nouvelle en Angleterre, où les Fielding, les Goldsmith, les Scott, les Wordsworth, ont toujours fait de leur cabinet solitaire la citadelle d’où ils mitraillaient l’ennemi, mais sans se confondre avec les hommes publics, avec Burke, Fox, Canning, Burdett, armés en guerre, toujours sur le champ de bataille, oubliant la gloire littéraire sans la mépriser, faits pour la lutte et voulant le succès.

Ce caractère de l’homme de lettres enté sur l’homme de parti ; la vanité s’accouplant à l’orgueil ; l’amour de la phrase s’associant à l’action sur les hommes ; M. Bulwer se frayant passage à la chambre : ce sont les symptômes d’un mouvement nouveau et d’une altération