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auquel Carlyle a donné d’excellens articles, et qui est assurément fort spirituel et très original, même dans ses folies ; Maginn, Gleig, Egerton Bridges, Lockhart, Hogg, Ainsworth (liste dont nous n’attestons pas l’exactitude), y contribuent, dit-on. Le Metropolitan et le New-Monthly représentent deux nuances du whiggisme ; le Tait’s Magazine continue la guerre radicale, et le catholicisme d’Irlande a son expression dans le Dublin Quarterly, tandis que le Dublin University Review sert d’organe au protestantisme du même pays. Le Westminster Review, propagateur de la philosophie utilitaire, a opéré sa transformation et son passage de la vie idéale à la vie active en prenant le nouveau titre de London and Westrninster Review. Si l’on jette un coup d’œil général sur la presse périodique anglaise, on trouvera que la masse de talent qu’elle renferme s’est disséminée, et que les articles remarquables y sont devenus plus rares, à mesure que le nombre des articles passables ou intéressans s’accroissait : comme si le nivellement politique devait atteindre les intelligences et abaisser les capacités en multipliant les produits.

Tel est l’aspect général que présente aujourd’hui la littérature anglaise. En un temps de transition et d’enfantement, elle a conservé, comme on le voit, beaucoup de force et de vitalité. Si vous comparez son mouvement au mouvement intellectuel qui l’a précédé, et qui a épanché sur le monde britannique, vers le commencement du XIXe siècle, tant de trésors de poésie et d’invention, vous la trouverez inférieure. Si vous cherchez ses défauts, vous lui reprocherez la diffusion, l’abus de l’analyse, l’excès du détail, l’imitation. Plus de Byron ou de Scott, maîtres du monde moral et lançant deux courans électriques dont s’émeuvent toutes les pensées ; mais une foule de talens secondaires, que dominent quelques supériorités douées d’observation critique plutôt que de création puissante. L’Angleterre n’a pas d’écrivain passionné que l’on puisse comparer à George Sand, ni d’historiens et de poètes vivans qui s’élèvent à la hauteur de nos talens les plus accomplis ; mais vue dans son ensemble, moins inapplicable que celle de l’Allemagne, plus contenue, plus sévère et plus librement variée que la nôtre, cette littérature est encore celle qui, fécondée par un commerce immense, concentre les lueurs les plus lointaines, réunit et recueille les faits les plus précieux, et qui même, au milieu de son affaissement comparatif, respecte le mieux les acquisitions du passé, en s’armant pour l’avenir.


Philarète Chasles.