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ÉCONOMIE POLITIQUE.

autre méthode d’exploitation, qui portait en germe une révolution tout entière. L’esclave rustique, celui du moins que le maître jugea digne de sa confiance, devint serf, ou pour parler plus exactement, colon servile. Pour l’intéresser à la prospérité de la terre, on lui permit de se marier, de posséder ses enfans, de disposer librement de toutes ses acquisitions, à la seule charge d’une redevance annuelle, stipulée quelquefois en argent, mais le plus ordinairement en nature. L’affranchissement eût été complet, et le travailleur se fût insensiblement substitué au maître, s’il n’eût pas été immobilisé ; si l’esclave, avec toute sa descendance, n’eût pas été attaché à la glèbe, de telle sorte qu’il appartînt moins au seigneur qu’au sol. Ainsi, on empêcha qu’un propriétaire, désespérant de faire valoir avec avantage, vendît ses esclaves, et laissât ses champs sans culture, au risque d’affamer une province. La terre, toujours garnie de travailleurs, fut forcément fertilisée ; mais, en défendant au maître de diviser ou de transplanter les familles serviles selon les besoins de la culture, on tomba dans un autre inconvénient : il dut arriver souvent qu’un domaine fût surchargé de travailleurs, tandis qu’il y avait disette de bras sur un autre point.

On a dit que cette révolution s’était faite au profit du fisc, et pour empêcher qu’un propriétaire n’éludât l’impôt, en vendant ou en dispersant ses esclaves rustiques à l’époque du recensement. Il est plus probable qu’on obéit instinctivement à l’urgence de reclasser les élémens sociaux qui depuis deux siècles étaient dans une déplorable confusion. On n’avait pas idée alors de cet équilibre des sociétés modernes, entretenu par le développement naturel de toutes les activités. Ce fut plutôt par un retour vers les théories antiques qu’on imagina de hiérarchiser cette fusion de cent peuples qui composait le monde romain, et de parquer chaque groupe entre des limites infranchissables. Ainsi, l’industrie subit, en même temps que l’agriculture, une réorganisation analogue. De tout temps, il y avait eu à Rome des corporations d’ouvriers libres ; mais elles n’avaient pas pris sans doute un grand accroissement, écrasées qu’elles étaient par la concurrence des ateliers serviles établis dans les grands domaines et par le trafic de ceux qu’on appelait aubains ou étrangers, non pas qu’ils fussent tous d’origine étrangère, mais parce que, tenant le milieu entre le citoyen et l’esclave, ils n’avaient pas dans la cité leur domicile politique. Vers le déclin de l’empire, les propriétaires, réduits à l’économie, remarquèrent sans doute qu’une pièce d’étoffe achetée dans une boutique leur coûtait moins cher que s’ils l’avaient fait fabriquer par leurs esclaves. Ainsi, l’abandon de l’industrie domestique, les affranchissemens multipliés, et surtout le régime de l’égalité, amené par l’extension continuelle des droits civiques, livrèrent à ses propres ressources une tourbe innombrable, qu’il fallut bien enrégimenter, et qu’on attacha à l’atelier, comme le cultivateur à la terre.

Les corporations sont donc réorganisées sur de nouvelles bases. Chaque ville ordonne celles qui lui sont nécessaires pour assurer les services publics. Une grande exploitation, celle d’une mine, par exemple, donne aussi lieu à