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ÉCONOMIE POLITIQUE.

été que de pauvres hommes d’état, s’ils avaient réclamé un équilibre parfait de fortune, qui ne se fût pas maintenu une année. Toute leur ambition fut de mettre un terme à une usurpation scandaleuse, qui épuisait la république au profit de quelques individus.

À ne juger que d’après les règles de la vraisemblance, cette nouvelle interprétation doit prévaloir. Cependant, pour la faire admettre par les érudits, attachés à la lettre des textes, il faut démontrer que les auteurs latins ont employé le seul mot ager pour signifier le champ commun, comme on dirait chez nous le domaine ; il faut établir encore que, dans la langue du droit, les mots possidere et possessio se rapportaient seulement à la possession extralégale des terres conquises. C’est ce que M. Giraud a entrepris[1]. De là, des recherches fort curieuses sur la double jurisprudence qui dut s’établir à Rome pendant la république, l’une appropriée aux droits légitimement acquis, et formulée d’après les principes éternels de la justice ; l’autre, exceptionnelle et de pure tolérance, sorte de droit coutumier appliqué seulement à cette possession qui n’était qu’un usufruit. L’auteur fait remarquer enfin que cette irrégularité même devint en des mains habiles un ressort politique. Entre les riches possesseurs et la plèbe affamée, le sénat mit tous ses soins à éviter une solution. D’une part, la promesse toujours renouvelée, toujours éludée, d’une plus juste distribution de l’ager, suffisait pour maintenir la démocratie en lui laissant entrevoir la chance d’un avenir meilleur. D’un autre côté, en rappelant sans cesse aux détenteurs des biens publics qu’ils n’avaient pas de titres légaux, en laissant gronder l’orage sur leurs têtes, on leur faisait sentir le besoin de se rallier autour du Capitole et de résister à l’esprit révolutionnaire, qui devait détruire la république en détruisant un abus aussi vieux que la république elle-même. — « Ces combinaisons étaient sages, dit M. Giraud, et pour nous qui voyons les effets salutaires de l’institution du crédit public dans les états modernes, elles sont assez vraisemblables. » — Le courage et l’adresse peuvent retarder un désastre ; mais le temps triomphe toujours, et d’un édifice chancelant fait des ruines. La guerre civile, qui aboutit à l’établissement impérial, effaça toutes les nuances dans la condition des terres, et institua la propriété sur des bases nouvelles.

Les recherches érudites qui appuient ces considérations d’un ordre élevé, ont par elles-mêmes du piquant et de la nouveauté. Par exemple, M. Giraud rapporte un édit de Dioclétien, récemment découvert, qui prescrit en temps de disette le triste remède du maximum. Il résulte de ce document qu’au commencement du IVe siècle, le travail et les choses nécessaires à la vie étaient intrinsèquement dix à vingt fois plus chers qu’aujourd’hui, et que la valeur des subsistances, comparée à celle des salaires, était excessive. Le taux de la journée pour le paysan et pour le manœuvre est de 25 deniers ro-

  1. Il cite, entre autres textes, cette phrase de Festus (pag. 209, édit. Lindeman) : Possessiones appellantur agri latè patentes, publici privatique, quia non mancipatione, sed usu tenebantur et ut quisquam occupaverat, collidebat. — Les commentateurs proposent de substituer à ce dernier mot colebat ou possidebat.