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LA HONGRIE.

pect si misérable, que, n’étaient les emblèmes de la religion chrétienne, dont les consolations ne manquent jamais à la souffrance, on se demanderait si des hommes habitent ces tanières.

À partir de Gran, le pays prend une physionomie sévère. Les Alpes noriques et les Carpathes poussent leurs dernières ramifications jusqu’au Danube et l’enferment entre des murailles de verdure. À sept heures, nous étions en face de l’île Sainte-Marguerite ; d’un côté, nous apercevions Bude, l’ancienne ville turque, aussi fièrement assise sur sa montagne qu’un pacha sur son divan, de l’autre le superbe quai de Pesth.

Bude et Pesth sont rivales : la première a le passé, la seconde a l’avenir. Un pont de bateaux, long de douze cents pieds, réunit les deux villes ; mais, comme il ne pourrait pas résister à la violence des eaux, on le supprime pendant l’hiver. C’est un grave inconvénient. Aussi, à la dernière diète, le comte Istvan Széchényi proposa-t-il d’établir un pont de pierre et de soumettre les nobles comme les paysans à un droit de péage pour subvenir aux frais de construction. Ce moyen, qui, chez nous, paraîtrait si simple, devait heurter vivement les idées de l’aristocratie hongroise ; c’était pour la première fois porter atteinte à un de ses priviléges, qui consiste à ne point payer d’impôts. Elle comprit parfaitement qu’il s’agissait assez peu du pont de Pesth, et que l’audacieuse proposition de Széchényi était grosse d’une révolution. Elle voulut résister. La seconde table, c’est-à-dire la chambre élective, fidèle au principe populaire de sa puissance, adopta le projet du comte avec joie. La cour de Vienne, intéressée à détruire les restes d’indépendance et de fierté seigneuriales qui subsistent encore chez la noblesse hongroise, eut l’adresse de faire aussi triompher le projet à la première table. Il est assez étrange que l’alliance du parti libéral avec M. de Metternich ait remporté cette victoire de la raison sur l’entêtement, du droit sur l’abus.

Deux ans se sont écoulés depuis la clôture de la diète. Le but du comte de Széchényi était si bien de faire consacrer un principe, que, ce but atteint, on ne s’est pas encore occupé de commencer les travaux. Une compagnie s’en rendra-t-elle adjudicataire, ou l’état lui-même les entreprendra-t-il ? Le comté de Pesth supportera-t-il seul les frais d’établissement, et la perception du droit de péage ne sera-t-elle qu’une sorte d’octroi communal ? Telles sont les questions laissées indécises et qu’il faudra résoudre à la prochaine assemblée. Quoi qu’il en soit, le péage qui existait autrefois sur le pont de