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LA HONGRIE.

rent la réalisation de cette grande idée. Des Français, parmi lesquels il faut citer le général Pajol, chassés de la patrie pour laquelle ils avaient combattu vingt ans, voulurent tourner vers l’industrie l’activité qu’ils ne pouvaient plus déployer dans la guerre : ils songèrent à la navigation du Danube ; mais le gouvernement autrichien, par ses défiances, ajouta de nouveaux obstacles à ceux que les proscrits rencontraient déjà sur la terre d’exil, et ils durent renoncer à l’espoir de les vaincre.

L’honneur du succès était réservé à un Hongrois, le comte Istvan Széchényi, libéral ardent, mais éclairé. Fortement convaincu, après avoir visité la France et l’Angleterre, de l’influence civilisatrice du commerce, le comte appela de nouveau l’attention de la Hongrie sur le magnifique débouché offert par la nature à ses produits. La Hongrie qui, dans une étendue de cent soixante-dix lieues de l’est à l’ouest et de cent trente lieues du nord au sud, possède les plus belles plaines de l’Europe, était pauvre au milieu de ses richesses. Les propriétaires se bornaient à vendre à Vienne les récoltes de ces campagnes qu’une bonne culture rendrait si productives. Encore devaient-ils acquitter des droits de douane fort lourds sur les vins, le tabac, les blés et le bétail. Si on leur parlait du Danube comme de l’artère vivifiante de leur pays, ils objectaient ces mots sans réplique : « Et la Porte de fer ? » Széchényi se chargea de leur répondre ; il fit construire sur le quai de Pesth une barque légère, en annonçant à ses compatriotes qu’il voulait avec elle franchir les cataractes. Il partit. Peu de temps après la Hongrie tout entière applaudissait à son triomphe. Il y eut alors un revirement complet dans les esprits ; la nouvelle du passage du Cap ne produisit pas plus d’impression en Europe, que parmi les Hongrois celle de l’arrivée du comte Széchényi au-delà des cataractes. Dans leur orgueilleux enivrement, les Hongrois virent déjà leur capitale devenue port de mer. Une gravure (prohibée par la censure autrichienne) représenta Széchényi planant au-dessus de gros nuages échappés des cheminées de pyroscaphes anglais, russes, français, etc., rangés en bataille devant le quai de Pesth.

Suivre les travaux de M. de Széchényi depuis cette époque, dire les obstacles qu’il a dû surmonter, attribuer avec justice à chacun sa part de gloire, ce serait dépasser les bornes que je me suis posées. J’ajouterai seulement que l’empereur François, enfin convaincu des avantages que ses royaumes doivent retirer de la navigation danubienne, concéda à M. Andrews un privilége exclusif pour l’établisse-