Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/79

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
75
LETTRES SUR L’ÉGYPTE.

par les bateaux à vapeur français, de groupes et lingots, ou effectuerait des paiemens, pour le compte du pacha, aux négocians d’Europe.

« Les circonstances, disions-nous en terminant, ne sauraient être plus favorables : le bas prix des enchères à Alexandrie ; le séjour prolongé que sont obligés de faire les navires qui viennent charger les cotons ; la baisse de l’intérêt de l’argent sur la place de Marseille ; la prochaine installation des bateaux à vapeur français, qui, en douze jours, pourront apporter au gouvernement égyptien les fonds provenant des enchères ; enfin le désir que nous a témoigné le ministre d’essayer l’effet de la concurrence entre les enchères de Marseille et celles d’Alexandrie, et déjuger ainsi de la supériorité des unes ou des autres ; tout doit engager à tenter immédiatement un essai. »

L’opinion que nous avons émise sur les lieux, nous paraît encore plus vraie à distance. Ce projet est dans la ligne du progrès égyptien ; il est la conséquence économique de l’unité agricole, et se réalisera tôt ou tard si cette unité elle-même n’est pas brisée. On a dit qu’il rendait inutile la présence des commerçans européens en Égypte, et qu’il tendait ainsi à relâcher les liens qui unissent l’Occident à l’Orient. D’abord, il est certain que les commerçans européens n’apportent point de capitaux en Égypte, et que les fortunes qu’ils possèdent ont été amassées dans le pays. Leur richesse consiste en navires et en produits égyptiens exportés : leur retraite n’appauvrirait donc point l’Égypte. Ensuite, ceux qui importent et répartissent les produits européens, et qui ont en Égypte quelques capitaux, resteraient. En supposant que quelques grandes maisons quittent Alexandrie, il y aurait toujours un assez grand nombre d’Européens (les petits marchands, les industriels, les employés du gouvernement), pour que le lien noué par Mohammed-Ali entre la civilisation occidentale et la civilisation égyptienne ne fut ni détruit, ni même relâché.

Dans le principe, Mohammed-Ali a accordé de grands avantages aux négocians pour les attirer et les engager à se fixer en Égypte. C’est surtout à cette époque que les grandes fortunes commerciales ont été faites, soit par les fournitures aux arsenaux de terre ou de mer, soit par la cession directe des produits égyptiens. Que Mohammed-Ali accorde aujourd’hui les mêmes faveurs à l’industrie, et l’on verra une foule d’artisans accourir en Égypte et s’y établir pour exploiter des industries locales, et exercer un grand nombre de métiers dans lesquels les Égyptiens sont moins habiles que les Européens. Ainsi, pour un négociant que Mohammed-Ali perdra, il gagnera dix industriels. Les négocians capitalisent en Égypte, en employant le travail des prolétaires arabes ; puis, ils envoient leurs capitaux en Europe, et ne laissent rien en échange dans le pays. Le gain qu’ils ont fait n’est que la récompense d’une opération intellectuelle, récompense qui est presque toujours en disproportion avec le travail, et qui atteint même quelquefois à une exagération peu morale, puisqu’elle est due plutôt à des circonstances fortuites qu’au talent et au génie. Les industriels au contraire, en supposant qu’ils voulussent quitter l’Égypte après avoir fait leur fortune,