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HISTOIRE DE FRANCE.

France. Il favorisa leurs travaux par tous les genres d’encouragement, accordant l’entrée franche dans le royaume à leurs denrées et à leurs ouvrages manufacturés, et des lettres de noblesse à douze de leurs chefs et directeurs. Ce grand homme seconda pareillement de tout son pouvoir l’essor de l’industrie et du négoce en France. Il rendit libre le commerce du Levant dans tout le royaume. Vers 1627, il conclut un traité avec le czar Michel, et il établit nos relations commerciales avec la Russie. En 1631, il conclut un autre traité avec le roi de Maroc, qui ouvrait les côtes d’Afrique au commerce et aux produits français. Il déclara enfin, par une ordonnance royale, que les nobles pouvaient se livrer au commerce sans déroger, et il mit l’honneur dans ce qui faisait la vie de la société et la prospérité du royaume.

C’était par d’innombrables calculs, par de prodigieux efforts d’esprit que Richelieu avait opéré ces grandes révolutions dans les diverses parties de l’état social et politique de la France. Autant par l’importance de ces résultats que par les habitudes studieuses de toute sa vie, il était conduit à penser qu’il ferait de la France la première nation du monde, s’il en faisait la plus éclairée. C’est avec ces idées qu’il fonda l’Académie et la nouvelle Sorbonne.

Ce qui fait la civilisation d’un peuple, ce n’est pas l’existence, mais l’action des hommes de génie : une nation peut voir surgir de son sein un ou deux esprits privilégiés et demeurer barbare. Dante, Pétrarque, Boccace, n’ont pas de successeurs immédiats : entre eux et le XVIe siècle, le siècle de la véritable civilisation de l’Italie, deux autres siècles s’écoulent. De même, la France, malgré le rare génie de quelques hommes, pouvait attendre indéfiniment le moment de son plein développement intellectuel. Pour qu’un grand siècle littéraire et scientifique arrive, il faut qu’un peuple ait un certain état, une certaine constitution morale. Il faut qu’une classe nombreuse d’hommes se consulte et s’interroge ; qu’un certain nombre d’entre eux, après s’être assurés de leur vocation pour les travaux de l’esprit, se forment avec lenteur et réflexion ; que, par une longue et assidue culture, ils amènent leur talent à maturité, au lieu de le faire avorter dans son principe par la précipitation et l’imperfection des essais. Il faut qu’ils se produisent devant une société et un gouvernement qui accueillent avec transport ce qu’ils produisent de beau, qui les paient de leurs efforts en leur faisant une part dans l’admiration et dans la fortune publique. Il faut encore qu’ils ne s’usent pas dans des expériences sans fin, qu’ils trouvent une règle et un guide dans le goût de la partie éclairée du public, c’est-à-dire dans la critique. Il faut enfin qu’ils ne se servent pas d’un instrument constamment rebelle, d’une langue qui ne soit ni faite, ni arrêtée ; car alors la forme emporte le fond, et le génie perd à s’exprimer le temps et la puissance qu’il aurait employé à penser, à sentir, à combiner.

Cet appui, Richelieu le donna au talent par sa protection, par son exemple, par la fondation de l’Académie. Il fit de l’état d’homme de lettres une profession avantageuse et honorable. Tout écrivain, dès son premier ouvrage