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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/846

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REVUE DES DEUX MONDES.

pas été plus libre de ses allures sans ses nouveaux ou anciens alliés ? Quelle force M. Odilon Barrot peut-il donner au futur ministère de M. Thiers ? Si M. Thiers adopte franchement les principes du centre gauche, qui sont les siens, et si M. Odilon Barrot le soutient, toute l’extrême gauche se séparera de M. Odilon Barrot. Or, qu’est-ce que l’appui de M. Odilon Barrot sans celui de M. Salverte, de M. Laffitte, de M. Mauguin, et même de M. Lanjuinais, de M. de Tracy, de M. Coraly, de M. Demarçay, et d’une foule de députés qui, pour ne pas siéger près de M. Garnier-Pagès, ne sont pas moins très éloignés du centre gauche ? Pour M. Guizot, nous apprenons par son organe habituel qu’il n’entrera au ministère, ainsi que ses amis, qu’en y faisant entrer avec eux leurs principes de gouvernement. C’est le prix de leur coopération dans l’assaut livré au dernier ministère, et ils ont acquis le droit d’entrer, leur bannière haute, dans la place qu’ils ont aidé à enlever. Rien de plus légitime ; mais quel rôle joueraient les principes du centre droit dans un ministère du centre gauche, s’appuyant sur M. Odilon Barrot ?

Mais ne désespérons pas. N’avons-nous pas vu, par des exemples récens, que les hommes accomplissent souvent des tâches singulières et bien opposées au but qu’ils se sont marqué ? Les doctrinaires ne viennent-ils pas d’aider à renverser un cabinet conservateur pour former un ministère qui sera, sans nul doute, plus éloigné de leurs opinions, et où il paraît qu’ils ne figureront pas ? Qui sait donc si l’extrême gauche ne travaille pas en ce moment à nous donner une administration qui s’opposera énergiquement à toutes les tentatives qu’elle fait depuis huit ans pour troubler la paix de l’Europe, et modifier, selon ses vues, les institutions déjà si libérales que la France s’est données en 1830 ? La question sera bientôt décidée pour nous, et notre ligne de conduite sera tracée à la première affaire qui aura lieu entre le nouveau cabinet et l’extrême gauche, sans doute sur le terrain de la réforme électorale.

Ne nous arrêtons donc pas à ce pêle-mêle de noms qu’on agite chaque jour, et dont il n’est encore sorti que des sujets de discorde. Il est peu d’homme d’état dans la coalition qui n’ait aujourd’hui à faire sa profession de principes en présence des affaires ; les actes suivront de près, et la chambre saura bientôt où tendra le cabinet qu’on élabore en ce moment. Nous doutons qu’elle soit disposée à donner sa majorité à un ministère qui se formerait sous l’influence de l’extrême gauche, et qui aurait subi ses conditions.

Quant à nous, nous prendrons à tâche de ne nous attacher qu’aux principes et de ne pas voir les hommes, quelles que soient d’ailleurs nos sympathies personnelles. Les ministres qui viennent de s’éloigner, après avoir accompli, durant deux ans, une tâche aussi honorable que pénible et difficile, emportent tous nos regrets. Long-temps avant la formation du ministère de M. Molé, nous l’avions appelé de tous nos vœux, car nous avions dès long-temps apprécié l’élévation et la sincérité de son caractère, la dignité et la noblesse de ses opinions. Depuis deux ans, nous réclamions l’amnistie, car nous savions