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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 17.djvu/845

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REVUE. — CHRONIQUE.

le tentent, et pour le bien de la France, on doit désirer qu’ils réussissent. Ils auront toutefois beaucoup à faire avec eux-mêmes, car le centre gauche en masse est paralysé, à cette heure, par la crainte de se dépopulariser, comme l’étaient les anciens ministres qui figuraient dans l’opposition, quand ils venaient combattre les ministres du 15 avril au sujet d’Ancône et des 24 articles.

Le centre gauche se déclare très hautement maître du pays. La majorité de la chambre lui appartient, dit-il. C’est donc à lui de composer le cabinet, de le diriger et d’y faire dominer ses principes. Nous ne demandons pas mieux que de voir le centre gauche diriger les affaires. Le ministère du 15 avril, qui succéda à celui du 6 septembre, où se trouvaient des élémens du centre droit et du centre gauche, fut le résultat du triomphe de cette dernière nuance. Il en résulta l’amnistie, le calme, la sécurité des jours du roi, et deux ans de prospérité presque inouie en France. Aussi avons-nous soutenu ce cabinet avec une chaleur qui provenait d’un profond sentiment d’estime pour ceux qui le composaient, sentiment qui s’augmente chaque jour à la vue des injustices dont le poursuivent encore ses adversaires. Si le centre gauche veut prolonger cet état de choses, accompli par le ministère du 15 avril, et interrompu depuis trois mois par les progrès de la coalition, nous lui donnerons encore notre appui. Mais le centre gauche qui sort des affaires et le centre gauche qui veut y entrer ne sont pas identiquement les mêmes. L’un voulait, il y a peu de jours, ce que l’autre repoussait très rudement, et quoique les vues semblent se rapprocher à cette heure, il nous reste encore quelques doutes sur les résultats que le centre gauche de la coalition nous promet. Aussi, quelque admiration que nous ayons toujours professée pour le talent du chef qui le représente, attendrons-nous ses actes pour nous prononcer.

Ainsi, le centre gauche ne mériterait pas ce nom à nos yeux, s’il subissait l’influence de l’extrême gauche. En y cédant, le centre gauche ne tarderait pas à effrayer le pays, et il rendrait ainsi aux doctrinaires la force qui leur manque aujourd’hui, malgré le triomphe de la coalition, ou peut-être à cause même de son triomphe. Nous avons dit que les partis se sont dénaturés. Ils sont encore loin de reprendre la place que leur assignerait l’équilibre des opinions. La place des doctrinaires, par exemple, serait dans l’opposition en présence d’une chambre qui assurerait la majorité au centre gauche. Hors du pouvoir, les doctrinaires rendraient de grands services ; aux affaires, avec la gauche, ils joueront, au contraire, le faible rôle, parce que toutes les capacités, entrant à la fois au pouvoir, l’affaiblissent. Plusieurs chefs de parti peuvent former une belle réunion d’hommes d’état et d’orateurs, mais non un ministère fort et homogène.

On nous dira que la coalition subit les nécessités de son origine. Voilà pourquoi nous avons toujours combattu la coalition. Il était facile de prévoir qu’elle n’apaiserait pas les partis, et qu’elle affaiblirait les hommes d’état qui y figuraient. Qu’on nous dise, maintenant que le but est atteint, si M. Guizot et M. Odilon Barrot ne sont pas des embarras pour M. Thiers, et s’il n’eût