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LES CHEMINS DE FER, L’ÉTAT, LES COMPAGNIES.

compter toujours beaucoup sur son gouvernement, tout en médisant de lui sans mesure ni pitié.

À la dernière session, le ministère et la chambre élective se trouvèrent en présence, sur ce terrain mal exploré des chemins de fer, avec la résolution de soutenir l’un contre l’autre une idée également absolue. Le ministère les voulait tous, ou du moins toutes les grandes lignes, pour le corps privilégié des ponts et chaussées ; la chambre les voulait réserver exclusivement aux compagnies, pour aider au développement de l’esprit d’association, qui ne venait que de naître et allait, disait-on, faire des miracles s’il trouvait un aliment digne de lui.

C’était bien un peu par préjugé de corps, et pour obéir aux influences naturelles de leur position respective, que les deux pouvoirs appelés à prendre une décision prépondérante sur cette question, s’attachèrent tout d’abord à soutenir deux thèses si contradictoires, le ministère se croyant obligé, comme tout ministère le croira toujours volontiers, à protéger les droits acquis de tout ce qui appartient à l’administration, la chambre des députés se persuadant qu’elle manquerait à sa mission si elle n’enlevait à l’état tout ce que l’industrie privée réclamait.

On voit que nous n’attribuons nullement le premier vote de la chambre sur les chemins de fer, dans la dernière session, à cet esprit d’hostilité systématique dont on a accusé dès-lors la coalition naissante, qui avait bien d’autres questions à choisir et en avait choisi d’autres, en effet, pour éprouver ses forces. Certes, parmi la majorité qui se déclara contre les idées du ministère dans cette discussion spéciale, il y eut beaucoup de gens qui furent heureux de trouver, en passant, cette occasion de lui nuire ; mais, avant tout, ils cédaient à une conviction véritable qui leur disait de ne point grever la fortune publique d’une dépense inconnue, sans avoir expérimenté d’abord la force des associations particulières en France.

D’ailleurs, pour tout dire, les deux partis, dans ce grand débat sur les moyens d’exécution des chemins de fer, n’étaient pas entraînés seulement par l’instinct aveugle de leur position et le devoir mesquin de défendre leur clientelle. Ils pouvaient invoquer, chacun pour sa part et à l’appui de son opinion, d’éclatans exemples empruntés à l’étranger. Les partisans des compagnies avaient à se prévaloir de ce qui a été produit, en Angleterre et en Amérique, par l’industrie particulière, et ils n’y ont pas manqué. Les protecteurs du privilége des ponts et chaussées s’autorisaient de ce qui a été