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LA PAPAUTÉ AU MOYEN-ÂGE.

des ambassadeurs à Innocent, avec la mission de recevoir, au lieu et nom de Frédéric, en fief du pape, le royaume de Sicile, le duché de la Pouille et la principauté de Capoue, aux mêmes conditions qui avaient existé jusqu’à ce jour entre le souverain pontife et les rois ; tant le pape était alors invoqué comme le protecteur et le supérieur des princes !

Mais il est remarquable qu’Innocent III apporta beaucoup de ménagemens dans l’exercice de cette suprême autorité. Ainsi, dans les affaires de l’Allemagne, il laissa l’élection d’Othon s’accomplir librement et sans aucune intervention de sa part ; il attendit que les divisions qui déchiraient l’empire provoquassent un appel à son tribunal. Envers Philippe-Auguste, pour son divorce avec Ingelburge, il fut inflexible au fond, patient et plein de douceur dans la forme : il ne se lassa jamais de remontrer au roi que la dignité royale ne peut être au-dessus des devoirs d’un chrétien ; il lui déclara que, malgré son attachement pour la maison royale, qui dans tous les orages ne s’était jamais séparée de l’église romaine, il serait obligé de lever contre lui sa main apostolique. Les royaumes de Léon et de Castille, celui de Portugal, érigé sous la consécration d’Alexandre III ; la Norvége, la Hongrie, l’Islande, où les ecclésiastiques furent adjurés de ne plus se livrer à l’assassinat, à l’incendie, à la débauche, et de ne plus exciter l’indignation par la multitude de leurs péchés ; tous ces pays reçurent d’Innocent des conseils paternels, des remontrances sévères, des directions politiques. Pour s’en assurer, il ne faut que lire ses lettres si belles et si pleines, lettres à la rédaction desquelles, s’il ne les a pas toutes écrites lui-même, il a évidemment coopéré. C’étaient ses dépêches.

L’Europe n’absorbait pas toute sa pensée, et il n’oubliait pas l’Orient. S’il travaillait à fonder l’ordre en Italie et dans le royaume de Sicile, à terminer les dissensions de l’Allemagne, à rétablir la paix entre la France et l’Angleterre, c’est qu’il voulait armer l’Europe pour venger les chrétiens de la Palestine, c’est qu’il songeait à faire rentrer Byzance dans la grande unité catholique. Il avait dit un jour publiquement à Rome : « Jésus-Christ pleura sur Jérusalem ; aujourd’hui il ne nous reste aussi que des pleurs. Les routes de Sion sont désertes, parce que personne ne veut se rendre à une fête : les ennemis du Christ l’emportent. » Il envoya des évêques à Pise, à Gênes, à Venise, pour exhorter les fidèles à remplir leurs devoirs envers le crucifié. Il rappela aux Vénitiens que, sous prétexte qu’ils ne vivaient que du commerce et de la navigation, il ne leur était pas permis de