Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/23

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
LES CÉSARS.

son temps, le paradoxe et la nouveauté avaient leur prix. Aujourd’hui qui veut du paradoxe ? Pour qui la nouveauté n’est-elle pas vieillie ? Le paradoxe est devenu lieu commun, et le lieu commun, à son tour, devient paradoxe. L’originalité serait de prendre les routes battues ; la hardiesse consisterait à être simple, et le plus grand paradoxe à n’en faire aucun.

Nous en sommes venus à la conclusion de toute l’antiquité. Et quand d’une seule pensée on rassemble tous ces faits : — dans la religion, l’exubérance de la superstition et la crudité de l’athéisme poussés chacun à son dernier excès, la puissance extérieure et la nullité morale du polythéisme antique ; — dans la philosophie, le discrédit de toutes les doctrines qui avaient tenté de relever l’homme, l’extension de la philosophie non-pensante, si ce mot peut avoir un sens, et la doctrine la moins haute rabaissée encore à une pratique inintelligente ; — dans la vie, le relâchement de tous les liens sociaux par la rupture du lien patriotique qui les avait tous contenus, l’absence de dévouement fortifiée par la facilité du suicide, nul signe de réaction vers un état meilleur ; — quand on regarde cette situation sous Auguste et sous Tibère, car j’aime à préciser les époques, on trouve que le monde était bien mal préparé pour une doctrine plus haute et plus pure, et qu’en ce sens rien n’est venu si peu à propos que le christianisme. S’il fût venu quatre siècles plus tôt, il eût trouvé encore dans leur force les doctrines vives de la Grèce, le platonisme, le pythagoréisme, qui pouvaient lui servir de préparation et d’aliment. L’apôtre Paul, s’il fût venu alors, eût trouvé Rome encore pure, religieuse, pauvre ; sur l’Agora d’Athènes, au milieu de cette foule « d’Athéniens et d’étrangers qui n’avaient autre affaire qu’entendre et dire des choses nouvelles[1], » il eût trouvé non-seulement ceux qu’il y rencontra, les secs et froids disciples de Zénon, les inintelligens sectaires d’Épicure, mais encore ceux dont le maître avait dit : « Il est un être qu’il faut attendre, qui, même aujourd’hui, veille sur nous, qui plein pour nous de bienveillance, dissipera nos obscurités, nous enseignera à vivre avec Dieu et les hommes ; jusque-là différons les sacrifices… Tant que Dieu, dans sa pitié, ne vous enverra pas quelqu’un pour vous instruire, dormez et attendez, et prenez courage, il viendra bientôt[2]. »

Mais qu’à cette époque, — où, sauf des traditions mal comprises,

  1. Actes XVII.
  2. V. Platon. — Apolog. Socrat.Épimenid. — Alcibiade.