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SALON DE 1839.

vraiment espagnole. Quoique le ton général soit triste et froid, la couleur ne manque pas de force et me rappelle les ouvrages de Zurbaran. Je me trompe fort, ou M. Ribera les étudie avec assiduité. — On sent de l’inexpérience dans l’arrangement des groupes, et malgré la précaution qu’il a eue de placer des moines vêtus de couleur claire auprès de son personnage principal, il n’attire point assez irrésistiblement l’attention des spectateurs.

Il est honorable pour la France de voir accourir à ses expositions tant d’artistes étrangers, et je suis un peu honteux pour l’Angleterre de ne pas la voir représentée à ce congrès de la peinture. M. Wiertz, qu’à son nom et aussi à sa couleur, je suis tenté de regarder comme un Flamand, a envoyé à Paris une immense page dans le pur style classique. On y voit le corps de Patrocle disputé par les Grecs et les Troyens, no 2123. Il y a là des enchevêtremens de jambes et de bras si extraordinaires, qu’il faut étudier quelque temps pour donner à chaque héros les membres qui lui appartiennent. Un de ceux qui tiraillent Patrocle, a sur ses épaules deux têtes, entre lesquelles je n’ai pu encore découvrir la véritable. Tout cela est d’une couleur assez brillante, mais où prédominent abusivement les tons jaunes, surtout dans les carnations. Rubens en faisait grand usage, mais ses chairs sont admirables de fraîcheur, et les héros de M. Wiertz ont la jaunisse. Passe encore pour ce coloris de convention, mais pourquoi imiter les défauts de son maître en lui empruntant ces muscles exagérés qui scandalisent les anatomistes ? — Pourtant il y a dans ce tableau un sentiment de grandeur qu’on ne peut méconnaître et qui annonce de l’étude et un talent réel, mais à mon sens mal employé.

Je reviens à l’école française. M. Biard est célèbre depuis quelques années pour ses compositions grotesques, devant lesquelles il y a toujours une foule nombreuse. Ce n’est pas chose aisée que de voir la Sortie d’un Bal masqué, no 170, et ceux qui l’ont vue s’en ressentent encore, car c’est l’endroit de Paris où l’on vous marche le plus sur les pieds. On m’assure que le préfet de police y tient un agent en permanence pour empêcher les filoux de dévaliser les curieux. — Au sortir du bal, un gros homme, déguisé en femme, s’est pris de querelle avec les sergens de ville et les boxe très scientifiquement. Autour de lui se pressent toutes les figures de carnaval, les plus ridicules qui se puissent imaginer, depuis le bon gendarme jusqu’au nain affublé d’une tête énorme qui faisait sensation dans le ballet de Gustave, vers l’an de grace 1836. En voyant ces bouffonneries, j’ai ri comme tout le monde, mais je n’y retournerai pas,