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LES CÉSARS.

que non-seulement du haut des degrés du temple, aux Juifs de toute la terre venus à Jérusalem pour la pâque, non-seulement dans les synagogues de l’Asie, de la Grèce et de l’Égypte, aux Juifs de ces contrées, mais que dans les villes et du haut des tribunes faites pour un autre usage, ils le proclament de toute leur voix à la Grèce païenne, à la Grèce mère de la philosophie et du polythéisme ; qu’ils profanent de leur blasphème les forum, les basiliques, les assemblées populaires, les tribunaux des préteurs, toutes choses saintes et sacrées ; qu’ils manifestent insolemment leur Dieu à la face de l’aréopage à Athènes, de la grande Diane à Éphèse, de Néron à Rome ; libres, hardis, usant hautement, jusqu’à ce que la persécution la leur vienne interdire, de cette publicité de l’Agora, la liberté de la presse du monde antique (car c’est un fait remarquable et pas assez observé que cette publicité du christianisme dans ses premières années) ; faisant ce que Socrate, Platon, ni Pythagore, n’avaient osé faire, disant la vérité qu’ils savaient, non à des initiés, mais à tous ; faisant ce que ces philosophes n’avaient pu faire, et disant aux Athéniens : « Le dieu que vous adorez sans le connaître, moi je vous l’annonce ; » qu’ils aient ainsi procédé, ne ménageant pas la contradiction au monde et la lui jetant au visage, si crue et si choquante qu’elle pût être, s’ils étaient les seuls auteurs de leur doctrine et de leur force, c’est en vérité ce que je ne puis comprendre.

Aussi, dans cette hypothèse, l’histoire de l’origine du christianisme (je ne parle pas aujourd’hui de sa propagation) est merveilleusement difficile à construire. Gibbon et son école se tirent d’affaire en n’en parlant pas ; ils prennent le christianisme déjà adulte, tout viril et tout grandi, sans dire mot de son enfance ; ils supposent qu’il est né, sans dire comment. Quant à moi, si j’étais obligé de prononcer sur ce fait selon les seules possibilités humaines et d’après les données communes de l’histoire, ce qui me paraîtrait le plus probable, c’est que le christianisme n’a pas dû naître.

Il est né cependant, et à peine est-il né, son influence agit sur le monde. Ceux même qui ne le connaissent pas le respirent et s’en imprègnent. Nul fait ne me paraît plus notable en ce siècle et dans les suivans que cette action insensible, pour ainsi dire souterraine, du christianisme sur ce qui n’est pas lui. Toute philosophie païenne prend une certaine teinte de sa lumière ; dès le temps de Néron, des notions plus hautes que celles du polythéisme, plus pures que celles du platonisme même, se dégagent et remplissent l’air. La philosophie n’est ni athée, ni irrévérente ; elle se soumet au culte public, « non