Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/276

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
272
REVUE DES DEUX MONDES.

puis quelques jours, le centre gauche et le centre droit semblent plus que jamais se défier l’un de l’autre. Nous concevons que dans le centre gauche on puisse s’alarmer d’un rapprochement entre les doctrinaires et les anciens 221. Mais le centre gauche, — nous parlons de sa partie modérée, — ne serait-il pas appelé à jouer le grand rôle dans cette majorité, s’il y prenait place ? Sans doute, quelques-uns des 221 refuseront de s’y joindre, et resteront à part avec quelques doctrinaires peut-être ; mais M. Thiers et M. Guizot, placés dans une combinaison ministérielle, n’importe avec quelle présidence, auraient maintenant pour les soutenir leurs propres partis, et une importante fraction de l’ancienne majorité. En même temps, cette réunion offrirait des garanties et à ceux qui veulent le maintien des idées de modération, comme à ceux qui demandent à grands cris un ministère parlementaire. Qu’on y pense, c’est une forte digue qu’il faut pour arrêter le torrent ; et à moins de se boucher obstinément les oreilles, il est impossible de ne pas entendre son bouillonnement qui augmente chaque jour.

Renouvellera-t-on de nouveau l’impossible et interminable mission du maréchal Soult, qui offrait, il y a quelques jours, le ministère des affaires étrangères au duc de Bassano, au refus de M. le duc de Broglie, dont on cite ces paroles : « Je ne voudrais pas faire partie d’un cabinet où je serais exposé à être protégé, à droite, par M. Guizot, et à être attaqué, à gauche, par M. Thiers ? » — Mais la seule illustration du maréchal, toute grande qu’elle est, ne suffirait pas à parer aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons. Il ne s’agit pas ici d’une répression militaire. L’émeute n’est pas dans les rues. Elle y a passé, il est vrai, quelques momens ; mais elle s’est hâtée de disparaître. L’émeute est dans les esprits ; elle y travaille en sûreté ; c’est là qu’il faut la poursuivre. Or, l’épée du maréchal Soult est impropre à cela. M. le maréchal Soult est une grande personnalité, mais il ne représente ni un parti, ni une opinion, ni même un système ; car, après avoir refusé de soutenir le ministère du 15 avril en s’y adjoignant, il semble aujourd’hui vouloir le reconstruire. Chef d’un cabinet et médiateur entre des chefs politiques, le maréchal jouerait un grand rôle ; tout autre ne lui convient pas, et, au rebours des autres hommes politiques, son importance décroîtrait en raison du peu d’importance de ses collègues. D’ailleurs, et pour terminer en un mot, la crise a lieu dans la chambre, dans l’administration et dans la presse ; la bataille se livre à la tribune, dans les conseils-généraux, tandis que le pays est matériellement tranquille. Il ne s’agit pas de vaincre les hommes, mais de ramener les esprits, et ce n’est pas l’épée, mais la plume et la parole qui peuvent accomplir une pareille mission.