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REVUE. — CHRONIQUE.

Je crois, monsieur, que le gouvernement fédéral était alors de bonne foi, qu’il désirait sincèrement conserver la paix avec l’Angleterre, et qu’il regrettait de n’avoir pu en finir par l’acceptation de la sentence arbitrale du roi des Pays-Bas. Ce qui le prouve, c’est qu’il chercha ensuite, passez-moi le mot, à escamoter la question constitutionnelle par un singulier artifice. Il proposa à l’Angleterre d’envoyer sur les lieux une nouvelle commission mixte, dont le choix pourrait être abandonné à quelque souverain ami, ou qui serait composée des hommes les plus compétens de toute l’Europe, mais qui pourrait chercher les hautes terres du traité à l’ouest de la ligne si obstinément suivie jusqu’alors. Cette proposition, qui semble dérisoire, puisque selon le traité il fallait chercher les hautes terres sur le prolongement d’une ligne tracée dans la direction du nord (due north), fut réitérée plusieurs fois au ministre anglais par le secrétaire d’état de l’Union, le plus sérieusement du monde. Le ministre anglais avait beau faire observer qu’en s’écartant à l’ouest, on ne restait plus dans les termes sacramentels du traité de Paris ; le cabinet de Washington répondait que si, par ce moyen, on rencontrait des hautes terres conformes à la définition du traité, l’état du Maine n’aurait rien à objecter, et qu’au besoin on le mettrait à la raison.

Et aujourd’hui enfin, après tant de correspondances, de notes et d’explorations, où en est cette grande affaire ? Je vous le dirai en peu de mots, car j’ai hâte de finir. Le gouvernement anglais a retiré l’adhésion qu’il avait donnée à la transaction proposée par le roi des Pays-Bas, et il a consenti à l’envoi d’une nouvelle commission sur le terrain, mais à une condition, jusqu’à présent repoussée par les États-Unis : c’est que ni le fleuve Saint-Jean, ni la rivière Ristigouche, ne seraient considérés comme fleuves s’écoulant dans l’Océan atlantique. Et vraiment je ne suis pas étonné de ce que le gouvernement fédéral repousse ce principe in limine ; car, s’il l’admettait, ce serait bataille gagnée pour l’Angleterre. Les États-Unis ont fait d’ailleurs une offre positive que l’Angleterre, à son tour, rejette hautement : c’est de fixer pour limite le cours du fleuve Saint-Jean, dont ils désirent depuis long-temps la libre navigation. Ils prendraient ainsi position sur le littoral de la baie de Fundy, et le petit sacrifice qu’ils feraient au nord serait amplement compensé par l’importance des acquisitions qu’ils feraient à l’est.

Comment tout cela finira-t-il ? Évidemment, monsieur, par une transaction. Le roi des Pays-Bas avait fort bien jugé. Il faut de toute nécessité que les communications de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick avec le Canada demeurent libres et faciles ; c’est une des conditions essentielles du maintien de la domination anglaise dans ces contrées, et les Anglais ne s’en départiront pas. L’absorption des colonies anglaises dans l’Union américaine est, ou sera peut-être, un fait providentiel, fatal, inévitable ; mais il n’est pas mûr. Ce qui s’est passé depuis dix-huit mois dans les Deux-Canadas le prouve assez, et l’Angleterre me semble d’humeur à retarder le plus qu’elle pourra cet accomplissement de la destinée.


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