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ILLUSTRATIONS SCIENTIFIQUES.

Aujourd’hui Brown a dans l’histoire de la médecine la place qui lui convient. Homme de quelque génie, mais d’une imagination exaltée, homme de logique, mais de peu d’instruction pratique, il aperçut très bien quelques faits de la vitalité, — tels que ceux de l’unité organique, des diathèses, des affections asthéniques cachées sous un masque d’inflammation. — Malheureusement, en voulant y réduire toute la médecine, il leur donna une portée abusive. Doué de beaucoup de passion et d’une ardente conviction, il eut pour ses découvertes, qu’il comparait toujours à celles de Newton, un enthousiasme qu’il sut faire partager à un auditoire fanatique. Comme sa doctrine réduisait la science médicale à une grande simplicité, on conçoit qu’elle se soit propagée avec fureur, tout comme on conçoit qu’étant pleine de contradictions et d’ignorances, le temps en ait fait justice.

Brown n’est point un de ces hommes que chaque médecin a dans sa bibliothèque ; il n’est guère lu que par curiosité, et il n’y a pas trente ans que, partout en Europe, on ne jurait que par lui !

On a souvent comparé Brown et Broussais. Il y a, en effet, entre ces deux hommes plusieurs rapports assez frappans, bien que chacun d’eux ait son genre de supériorité qui n’est pas celui de l’autre. Tous deux se sont élevés avec la même colère contre tout le passé de la science, et ont eu pour les anciens le même mépris : si Broussais a fait l’Examen des Doctrines, Brown a publié ses Observations sur les anciens systèmes de médecine. — Tous deux ont eu le don de transporter et d’enthousiasmer leur auditoire par la critique la plus amère, la plus mordante, la plus railleuse, la plus originale de leurs adversaires, et si Broussais lança tant de traits contre Pinel, qui avait été son maître, Brown n’en fit pas moins contre son ancien maître Cullen : il paraît même qu’ils avaient le même genre d’éloquence, éloquence attachante et entraînante par l’accentuation de certains mots et la saillie de certaines idées, plutôt que par le charme même de la parole. Brown, dit-on, avait la voix comme croassante, et tout le monde se rappelle les éclats de la voix de Broussais, qui tantôt tombait, languissait, se traînait, pour se relever, l’instant d’après, ferme, forte, sonore, et entraîner le rire ou l’applaudissement unanime des auditeurs. — Tous deux, bien entendu (puisque tous deux étaient des réformateurs systématiques), eurent une grande puissance de généralisation et de systématisation, et ne pouvaient prendre la parole ou la plume sans embrasser la médecine tout entière, sans que les questions qu’ils agitaient fussent ou devinssent des questions capitales, des questions mères : de là encore l’attrait qui s’attachait à eux,