Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/342

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
338
REVUE DES DEUX MONDES.

dû aller jusque-là, qu’il n’avait qu’une voie à suivre, et qu’une fois dans cette voie, il a dû marcher. Aussi, un de ses grands mérites, comme aussi une de ses grandes faiblesses, c’est de ne reculer devant aucune conséquence ; — il l’a malheureusement prouvé ; — ce qui dans la polémique lui donne une force singulière contre ceux qui lui ont fait une concession dont il puisse tirer parti, ou qui véritablement lui prêtent le flanc.

Ce qui frappe dans le style de Broussais, c’est l’accent de conviction. S’il prend la plume, c’est qu’il y a de par le monde des browniens, des ontologistes, qui répandent de funestes doctrines : il faut les faire taire, il faut les livrer au mépris des contemporains et de la postérité. Vers la fin de ses jours, il crut devoir s’occuper de philosophie, bien que cette science fût en dehors de ses études habituelles, parce qu’il remarquait que la jeunesse française était séduite par les ridicules doctrines du kanto-platonisme. On a quelquefois accusé Broussais de mauvaise foi, parce qu’il ne voulait pas reconnaître des faits qui devaient lui sauter aux yeux, parce qu’il persistait dans certaines idées pratiques évidemment nuisibles. Cette accusation était fausse : c’était mal connaître un esprit tel que le sien. S’il ne reconnaissait pas des faits d’un certain ordre, c’est qu’il était tout entier plongé dans les faits d’un ordre différent ; il était, si je puis dire, de mauvaise foi sans le savoir et comme malgré lui. On lui a reproché de ne pas être impartial : il s’en serait bien gardé ! Il ne le voulait pas, la vérité en aurait souffert ! « Je n’ai point cru, dit-il quelque part, devoir adoucir ma critique par des éloges accordés à la célébrité ; j’aurais manqué mon but en inspirant trop de confiance pour des ouvrages qui ne sauraient être lus sans danger par ceux qui n’ont pas été prémunis contre les erreurs qu’ils contiennent. Je ne dis pas qu’il ne s’y trouve rien de bon, et je désire qu’on en profite ; mais le ton d’arrogance de leurs auteurs, et l’obstination qu’ils mettent à s’opposer à la recherche de la vérité, méritaient qu’on les fît sérieusement rentrer en eux-mêmes ; un jour ils seront appréciés, et l’histoire, en les mettant à leur place, applaudira peut-être à ma résolution. »

Son style, du reste, est animé, plein de couleur, de mouvement et de vie ; sa principale prétention est celle de la clarté : à chaque page, à chaque phrase presque, il demande hardiment si ce qu’il dit n’est pas clair, n’est pas plus clair que ce que disent ses adversaires, ses ennemis, que ce que disent les rêveurs, les philosophes, et il retourne cet argument avec une verve et un esprit, qui mettent presque toujours les