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des médicamens qui en changeassent toute la substance et en modifiassent toute la vitalité, ou à soulever les sympathies générales de l’organisme dans un sens différent de celui de la maladie, soit qu’on cherchât à provoquer des mouvemens favorables observés d’autres fois, soit qu’on imprimât, dans une certaine mesure pourtant, une secousse dont on ne prévoyait pas bien l’issue, et dont on confiait les effets à la puissance vitale. — De là les idées de la médecine active, de la médecine altérante, de la médecine imitatrice, de la médecine perturbatrice. En troisième lieu, ce je ne sais quoi des maladies, qu’on appelait leur génie, forçait souvent de se livrer à l’expérience pure et simple, et d’adopter des remèdes dont la vertu ne s’expliquait pas bien, mais qui semblaient avoir un génie spécifique à opposer au génie malfaisant de certaines maladies. De là les méthodes empiriques.

Voilà la doctrine que Broussais signale comme un monstrueux mélange de fatalisme et d’ontologisme. Newton eût été un fataliste et un ontologiste, car il constatait une loi et il invoquait une force. Les anciens médecins faisaient-ils autre chose que ce que fit Newton ?

Broussais n’avait pas compris ou n’avait pas voulu comprendre que les hippocratistes et les historiens d’épidémies s’étaient placés tout-à-fait en dehors de la métaphysique, et que simplement ils avaient raconté ce qu’ils voyaient, donnant le nom de force vitale, de nature, à la puissance, quelle qu’elle fût dans son principe et dans son essence, dont les effets leur étaient manifestés, et assignant pareillement des caractères particuliers et une dénomination particulière à un ensemble de phénomènes qui, par leur origine, leur marche, leur mode de propagation, leur terminaison, leur façon de guérir, différaient beaucoup des maladies ordinaires. Que quelques-uns eussent été au-delà des faits sur les ailes de leur imagination, et se fussent jetés dans de subtiles hypothèses, c’est à ceux-là qu’il fallait s’en prendre, et non à la méthode. Que quelques autres eussent mis de la négligence à rédiger leurs pensées touchant les opérations de la nature, et eussent, sous le coup de leur impression, employé des paroles peu mesurées, tantôt métaphoriques, tantôt hyperboliques, ce n’était pas chose à conséquence, cela n’engageait pas le fonds des pensées.

Broussais a donc prodigieusement abusé de sa haine, si louable et si légitime dans le principe, pour les abstractions et les hypothèses. Nous verrons plus tard jusqu’où l’a mené cette haine, lorsqu’elle le portera à repousser un ordre de faits tout entiers, sous prétexte d’hypothèses, d’abstractions, d’ontologie.