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EXPÉDITION AU SPITZBERG.

pays, m’intéressait beaucoup. J’aimais à étudier sa physionomie, à la suivre dans les habitudes de sa vie. Les femmes sont blanches, fraîches, bien faites. Nous en avons vu une à Kilangi qu’on aurait pu citer partout comme une beauté remarquable. Quand elle était jeune fille, elle attira souvent l’attention des voyageurs, et beaucoup de riches étrangers, nous dit notre guide, tentèrent de la séduire ; mais ni les douces paroles ni les promesses brillantes ne purent l’émouvoir : elle resta dans l’humble demeure où elle était née, et devint une bonne et heureuse femme de paysan.

Les hommes sont généralement grands et forts. Sur leur figure pâle, et dans leurs yeux bleus, on remarque une expression de calme qui ressemble parfois à de la mélancolie. Mais l’espèce de résignation passive dans laquelle ils vivent habituellement, ne fait que masquer l’énergique trempe de leur caractère. Ils sont fermes et tenaces dans leurs résolutions, inflexibles dans leurs sentimens de haine, admirables dans leur dévouement. On m’a cité deux anecdotes qui peignent assez bien les traits distinctifs de leur caractère dans deux situations opposées. Un Finlandais qui avait à se plaindre de son maître, conçut le projet de le tuer et nourrit pendant cinq ans cette fatale pensée. Il n’attendait qu’une occasion favorable pour exécuter son crime. Dès qu’elle se présenta, il la saisit avec empressement. Traduit devant les juges, il avoua le meurtre qu’il venait de commettre, et comme on l’engageait à se repentir et à demander pardon à Dieu avant d’aller paraître devant lui, il joignit les mains, fit sa prière et dit qu’il mourait avec la joie d’avoir lui-même enlevé la vie à un misérable.

L’autre anecdote que l’on me racontait dans le pays, est un exemple de générosité d’ame presque fabuleux. Deux officiers firent naufrage en allant de Stockholm à Abo, et se sauvèrent avec leur domestique et un Finlandais sur quelques planches à demi brisées du navire. Ce radeau improvisé était trop faible pour les soutenir tous quatre. L’un des officiers se prit à pleurer en parlant de sa femme et de ses enfans. — Vous les reverrez, dit le Finlandais qui l’avait écouté avec une profonde émotion ; adieu, vivez heureux. Au même instant il se précipite dans les vagues, et la nacelle allégée continue sa route.

Les maisons finlandaises sont remarquables par leur adroite distribution et leur propreté. Chaque ferme se compose, comme je l’ai dit, de plusieurs corps de logis, et chaque corps de logis, chaque chambre même a un nom particulier. Ordinairement on entre dans une grande cour carrée, fermée par quatre édifices. Le plus large, le plus élevé, est l’habitation du paysan. Là est la kammare, la chambre où l’on garde les larges seaux de lait, et où couche le chef de famille ; à côté est la poerte, vaste salle chauffée par le feu de la cuisine et du four, où l’on fait cuire tous les deux jours les galettes d’orge. C’est là que les habitans de la ferme se reposent après leurs travaux, c’est là qu’ils couchent sur le plancher, ou sur un banc. Vis-à-vis est la chambre où les femmes filent et tissent la laine. À côté de ce premier édifice, est la petite