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ture. Le caractère religieux, que les temps et la piété des premiers artistes concoururent à faire dominer dans la peinture italienne, atteignit son parfait développement dans l’atelier (j’allais dire l’oratoire) du bienheureux de Fiésole. À la douceur, à l’ardente affection qui respirent dans toutes ses compositions, il sait joindre quelquefois le grandiose et l’énergie. L’étude des formes exactes de la nature et des expressions habituelles des hommes de toutes classes, la science du clair-obscur, celle de la perspective, l’arrangement des draperies et des accessoires en général, parties méconnues ou négligées par le religieux de Fiésole, furent portés par Masaccio à un point qui semble prodigieux, si l’on compare les rares productions de ce maître à celles de ses prédécesseurs immédiats. Masaccio devint le modèle et l’oracle de tout ce qui le suivit, jusqu’à ce que ses derniers disciples, Michel-Ange, Raphaël, Léonard, Fra Bartolomeo, Andrea del Sarto, fussent devenus, et pour toujours, les maîtres de l’art.

Cependant de beaux génies naissaient de toutes parts en Italie, et, comme les teintes variées d’un même faisceau lumineux, se reflétaient sur les écoles diverses qui s’éloignaient peu à peu de leur type commun. L’Ombrie possédait dans Gentile da Fabbriano l’émule du bienheureux Angelico. Mantegna rivalisait à Mantoue avec Masaccio, Giovanni Bellino donnait à Venise plus qu’un égal de Mantegna ; Lippo Dalmassio aplanissait à Bologne les routes devant Francia. Quand celui-ci parut, une ère nouvelle venait de naître. Vannucci l’inaugurait à Pérouse ; Léonard de Vinci maintenait à Florence l’antique supériorité de ce berceau de la peinture, puis il portait à Milan les enseignemens qui transformèrent l’école lombarde et la firent arriver à l’apogée de sa puissance. Un autre génie, qui seul pouvait l’emporter en grandeur sur Léonard, Michel-Ange Buonarotti, apparaît avec éclat sur l’horizon qu’il doit illuminer pendant soixante années ; et comme l’unique consécration de la véritable grandeur se trouve dans la compétition d’un antagoniste formidable, la destinée de l’art mit à la fois dans l’arène Michel-Ange et Raphaël. Pénétré du sublime de Buonarotti, M. Rosini ne peut cependant se défendre d’une sympathie d’admiration plus tendre pour le peintre du Vatican. Pour la faire partager plus sûrement à ses lecteurs, il leur présente, en regard de ses pages les plus éloquentes, une esquisse gracieuse et fidèle de la Madonna del Pesce.

Mais, dans cette incomparable saison de l’art italien, la fécondité du sol semblait croître avec la multitude des chefs-d’œuvre qui surgissaient de toutes parts : Corrége, Titien, Andrea, furent les contemporains de Michel-Ange, de Raphaël, et presque de Léonard. Fra Bartolomeo sait encore s’ouvrir une route à part, dans laquelle il marche à peu près l’égal de semblables rivaux. Et ce qu’on n’avait pas encore vu depuis la renaissance de l’art, ce que l’antiquité semble n’avoir pas connu, chacune de ces écoles produit des élèves capables de s’assimiler, non-seulement la méthode, mais encore l’inspiration de leurs maîtres : ainsi l’on voit Albertinelli, Pontormo, Luino, Bonifazio, Penni, Daniel de Volterre, créer des tableaux qu’on prend avec admiration pour des ouvrages du Frate, d’Andrea, de Léonard, de Titien, de Raphaël, de Michel-Ange. Raphaël surtout semble envoyer après lui dans toute l’Italie et même au-delà