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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/496

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naturelles. Paris cessait d’être à découvert à quarante-cinq lieues de la Prusse, et nous ressaisissions, dans le midi de l’Europe, le rang et l’influence dont nos désastres nous ont dépossédés. Ce grand système était celui de M. La Ferronnays. Entre l’alliance du Nord et celle de l’Occident, il semble qu’il n’y avait point de place possible pour un troisième système. Il s’en trouva un cependant, ce fut d’être Russe par les sympathies, et de n’oser l’être par les actions, d’embrasser dans les cours de l’Europe la cause du czar, et de n’avoir pas assez d’audace pour en saisir le prix, de le grandir, lui déjà si grand, et de nous laisser affaiblis, mutilés, de lui livrer enfin la Turquie en enchaînant le zèle des puissances qui voulaient la sauver, et, par là, d’achever la destruction de tout équilibre en Europe. Telle est la conduite, mélange inoui d’imprévoyance et de timidité, qui fut suivie par le cabinet français ou plutôt par le roi pendant toute la durée de la guerre de Turquie, en 1828 et 1829. « Je veux, dit Charles X, en s’expliquant sur le projet de M. de Metternich qui, dans l’hiver de 1829, voulait arrêter les Russes par le frein d’une médiation de toutes les grandes puissances de l’Occident, je veux rester uni à la Russie : si l’empereur Nicolas attaque l’Autriche, je me tiendrai en mesure et me réglerai selon les circonstances ; mais si l’Autriche l’attaque, je ferai marcher immédiatement contre elle. Peut-être qu’une guerre contre la cour de Vienne me sera utile, parce qu’elle fera cesser les dissensions intérieures, et occupera la nation en grand, comme elle le désire. » Ainsi Charles X, en adaptant à sa faiblesse les grandes et généreuses idées de son ministre, les a viciées dans leur application. Au lieu de tourner à la gloire de la France, elles ont tourné au préjudice de l’Europe ; elles ont activé la ruine de la Turquie, appelé sur elle toutes les misères et porté à l’équilibre général la plus profonde atteinte.

De toutes les guerres que la Turquie a eu à soutenir contre les Russes, il n’en est pas qui ait porté à sa puissance un coup plus terrible que celle de 1828. Cette guerre produisit, au sein de la nation musulmane, une crise d’abattement et de stupeur qu’elle n’avait jamais connue. En apprenant la chute de Varna, le passage des Balkans par Diébitsch et son entrée dans les murs d’Andrinople, l’orgueil jusqu’alors indomptable des Turcs fléchit enfin ; mais ils perdirent en même temps cette confiance en eux-mêmes qui, combinée avec le fanatisme religieux, était le principe de leur force. Que l’on compare leur attitude dans les guerres précédentes et dans la lutte contre les Grecs avec celle qu’ils montrèrent dans la campagne dé-