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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

armée, il leur fallait le concours de la France. La situation compliquée de l’Autriche lui enlève toute liberté de mouvement contre la Russie dans une crise d’Orient ; ses décisions restent subordonnées à celles de la France. Pour qu’elle puisse protéger efficacement la Turquie, il faut qu’elle soit dégagée de toute inquiétude du côté de l’Italie, il faut que la France lui assure de ce côté toutes les garanties qu’elle est en droit d’exiger. Or, en fait de garanties de notre part, il n’en est qu’une seule qui puisse la satisfaire : c’est une coopération sincère de notre politique à ses projets. D’un autre côté, l’Angleterre, privée du concours de l’Autriche, est impuissante pour sauver la Turquie. De là, pour les cours de Vienne et de Londres, la nécessité d’obtenir, dans une guerre décisive d’Orient, l’alliance de la France. En 1828, pouvaient-elles compter sur cet appui ? La France se trouvait bien réellement arbitre dans le grand litige de l’Orient ; elle tenait dans ses mains le sort de l’empire ottoman et la fortune de la Russie. En se prononçant, elle emportait la balance de son côté, elle entraînait tout. Deux partis s’offraient à elle, l’alliance de l’Occident et celle du Nord. En embrassant le premier, elle conservait la triste position que lui ont faite les traités de 1815, mais le statu quo devenait la loi commune pour tous ; la Russie était maîtrisée, la Turquie garantie, et toutes les questions ajournées. Ce n’était point là, nous le répétons, une politique grande ni glorieuse, mais c’était une politique qui allait à la taille du roi, dont l’ame n’était point trempée pour les grands et audacieux desseins ; c’était d’ailleurs une politique de conservation qui laissait l’avenir intact. Tel était le système anglo-autrichien, système à vrai dire incomplet et bâtard, que M. de Villèle s’était attaché à faire prévaloir.

L’alliance du Nord nous ouvrait les plus vastes perspectives. Elle ne tendait à rien moins qu’à une reconstruction de tout l’édifice européen et au redressement des iniquités du traité de Vienne. À la Russie le Nord et l’Orient, à nous le Midi et l’Occident. C’était la grande pensée de Tilsitt adaptée à l’état actuel de l’Europe : unis de pensée et d’action avec la cour de Saint-Pétersbourg, nous dictions la loi au monde, nous enchaînions la Prusse dans notre système ; nous lui faisions une belle part d’indemnités pour les territoires qu’elle nous eût cédés sur la rive gauche du Rhin ; nous tenions en échec et paralysions l’Autriche en Orient ; par l’Autriche, nous maîtrisions l’Angleterre, et la Turquie était livrée aux chances des combats. Le cercle redoutable dans lequel nous ont jetés les traités de 1815 était pour jamais brisé. Nous rentrions en possession de nos limites