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MAHMOUD ET MÉHÉMET ALI.

aussitôt le caractère d’une guerre de principes. La joie de la Russie eût été sans mélange, car elle ne peut être réellement maîtrisée en Orient que par les armées de l’Autriche, et l’état convulsif de l’Europe en 1833 n’eût pas permis au cabinet de Vienne d’embrasser la cause de l’Occident.

Ainsi, la France et l’Angleterre ont eu chacune une déplorable part aux malheurs qui ont accablé Mahmoud. La première, en empêchant, en 1829, les cours de Vienne et de Londres de le secourir, l’a livré désarmé aux coups de la Russie ; la seconde, en le laissant accabler, en 1833, par un rival qu’elle pouvait si facilement maîtriser, l’a jeté dans les bras du czar. La France a rendu en quelque sorte inévitable le traité d’Andrinople, l’Angleterre celui d’Unkiar-Skelessi.

Depuis que Méhémet-Ali a levé le masque et s’est emparé de la Syrie, de nouveaux intérêts se sont développés et sont venus ajouter leurs exigences aux complications de la question d’Orient. L’empire ottoman est comme brisé dans son milieu ; la race arabe tout entière s’en est séparée ; elle forme aujourd’hui à elle seule un état compact qui se dresse en rival de la Porte, et dont la dépendance nominale n’est plus qu’une dérision.

Le vice-roi n’a point achevé son œuvre. Il a l’ambition de la couronner en lui donnant la sanction de l’indépendance légale et de l’hérédité. Le traité de Koniah l’a fait entrer dans la troisième phase de sa vie politique. Il veut tout à la fois posséder avec sécurité le pouvoir qu’il a fondé et le léguer intact à son fils. C’est là le but où tendront désormais tous ses efforts. Tant qu’il ne l’aura pas atteint, son ambition ne sera point satisfaite ; il refusera de détendre les ressorts de son système, et il continuera d’entretenir une armée et une marine qui écrasent son pays et dévorent toutes ses ressources. De son côté, la Porte a aussi des passions à contenter ; elle a d’humiliantes défaites à venger, le traité de Koniah à déchirer, la Syrie à recouvrer ; elle aussi ne désarmera que lorsqu’elle aura assouvi ses haines, ressaisi ses provinces perdues, et renversé l’œuvre du vice-roi.

Divisées sur la question turque, les grandes cours de l’Europe ne s’accordent pas davantage sur la question égyptienne.

La Russie a un intérêt évident à empêcher que les deux rivaux ne se réconcilient, à réveiller leur haine, si elle tend à s’assoupir. Leurs combats font sa joie, parce qu’ils achèvent d’épuiser la Turquie et la distraient des dangers bien autrement sérieux qu’elle lui prépare au nord.

Tous les intérêts, comme toutes les sympathies de la France, l’en-