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LETTRE
SUR LES AFFAIRES EXTÉRIEURES.
No XIV.
Monsieur,

C’est avec raison que l’on a attaché une grande importance au voyage que M. de Zéa Bermudez et M. Marliani viennent de faire en Allemagne. Pour n’avoir pas réussi, leur mission n’en était pas moins sérieuse, et elle méritait assurément plus de succès qu’elle n’en a eu. Les circonstances au milieu desquelles ils se sont présentés à Berlin et à Vienne n’étaient pas défavorables, et si leurs efforts n’ont pas eu le résultat qu’on pouvait s’en promettre, c’est que sans doute le moment n’est pas encore arrivé de faire entendre raison sur la question d’Espagne aux cabinets qui n’ont pas reconnu la reine Isabelle II. Il est, du reste, à remarquer qu’au moins ces cabinets suspendent leur jugement, et que tout en manifestant leurs sympathies, ils n’engagent pas irrévocablement leur politique. Ils attendent que les évènemens aient prononcé ou pris une tournure qui ne laisse plus de doutes sur l’issue de la lutte actuelle, car ils n’accordent pas de caractère officiel aux agens de don Carlos qu’ils tolèrent auprès d’eux ; et si, comme je l’espère, la cause de la reine prend le dessus d’une manière marquée, les gouvernemens d’Autriche et de Prusse se souviendront peut-être alors de la mission de M. de Zéa qui, dès à présent, a dû faire sur eux quelque impression.

M. de Zéa, vous le savez, a été, à plusieurs reprises, ministre de Ferdinand VII ; il a exercé hors de l’Espagne des fonctions diplomatiques de l’ordre le plus élevé ; chef du cabinet de Madrid à l’époque de la mort du roi, il avait préparé le paisible avénement de la jeune reine et il présida aux premiers actes du nouveau règne. Le premier établissement de la succession féminine s’accomplit à Madrid et dans tout le reste de l’Espagne, sauf quelques bourgades des provinces du nord, sans grandes difficultés ; la plupart des chefs de l’armée saluèrent de leurs acclamations la fille de leur souverain ; les grands corps de l’état n’hésitèrent point à se compromettre dans le même sens ; les passions populaires furent contenues et désarmées partout où elles semblaient à craindre pour le nouveau gouvernement, et bien que la Navarre ait commencé à remuer quatre jours après la mort de Ferdinand VII, à voir le prétendant se traîner à la suite de don Miguel vaincu et sur le point d’être chassé du Portugal, on n’aurait guère pensé alors que la fortune de don Carlos dût en peu de temps balancer celle de la royauté qui s’élevait à Madrid. Si M. de Zéa eût été mieux secondé par tous ses collègues, peut-être le mouvement de la Navarre et des provinces basques n’aurait-il pris aucune consistance. Mais cet homme habile, intelligent, modéré, plein de courage, qui s’était dévoué à servir contre don Carlos la fille et la veuve de Ferdinand VII, et qui aurait pu faire tant de bien à l’Espagne,