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LA GRÈCE ORIENTALE.

d’hôtelleries, de voyager avec un ordre du ministre, qui met en quelque sorte l’habitant des villes et des bourgs à votre disposition. On exhibe l’ordre ministériel, et le dimarque, si vous ne trouvez pas sa maison convenable, vous fait conduire chez un de ses administrés, où l’on vous reçoit par billet de logement. Mais quel logement ! grand Dieu ! Figurez-vous, mon cher docteur, une cahute dont les murailles ont deux mètres de hauteur, une toiture posée sur des branchages, ce qui laisse à l’air la faculté de pénétrer par les joints qui se trouvent entre les tuiles. D’un côté de la chaumière sont les animaux, et de l’autre les hommes. Un âtre est formé au milieu de la partie réservée pour la famille. On y allume de grands feux, et la fumée se répandant partout, car elle ne peut sortir que par les joints de la toiture, suffoque les voyageurs et leurs chevaux. On étale une natte sur la terre, voilà votre lit fait, et vous vous y précipitez sur-le-champ, car autrement la fumée vous asphyxierait. Bientôt arrive votre courrier, votre guide ; il a été à la recherche des provisions, et rapporte soit un dindon, soit un agneau qu’on fait rôtir tout entier, à l’aide d’un bâton en guise de broche ; cela s’appelle un rôti à la palicare, et ce serait très bon si l’animal était tué au moins de la veille. Après avoir mangé, bu le café, fumé la chibouque, le voyageur n’a rien de mieux à faire que de s’envelopper dans son caban et de tâcher de dormir, si les insectes le lui permettent. Vous comprenez que je ne parle ici que des premiers jours, car on finit par s’habituer à tout.

Il faut convenir qu’il serait difficile de trouver des gens s’accommodant mieux que les Grecs de ce dérangement occasionné par l’arrivée des voyageurs. Il y a, en cela, un souvenir du temps des Turcs, où toute demande était appuyée par le bâton. À peine a-t-on frappé à la porte d’une maison, que le ménage s’arrache au sommeil, femmes et hommes. On écarte du foyer les coussins et les couvertures, afin de mettre la natte qu’ils recouvraient à la disposition du voyageur ; on réunit le tout en un paquet, et la famille va demander asile au voisin. Cela se fait sans murmure, les yeux encore à moitié fermés. Les enfans pleurent, parce qu’ils ont été réveillés brutalement par les coups donnés à la porte, dont la chaumière a retenti, et aussi parce que cette affluence inaccoutumée leur fait peur. Les femmes les calment, les emportent, et l’on n’entend plus rien que le grognement du chien de la maison, un grand lévrier, qui n’a pas suivi ses maîtres, et qui s’est tapi dans un coin, comme s’il voulait surveiller les nouveau-venus. S’il n’est pas trop tard, la mère et les filles, après avoir opéré leur déménagement, reviennent aider les domestiques à faire le souper, et pendant le repas, elles restent debout, assez éloignées du foyer, tenant à la main un morceau de bois de pin enflammé qui jette une clarté rougeâtre dans toute la chaumière. Je vous jure que bien souvent, malgré l’appétit que j’éprouvais, je n’ai pu me défendre de donner une assez longue attention à ces scènes singulières qui ont quelque chose d’antique, et dans lesquelles de pauvres paysans paraissent encore donner l’hospitalité au nom de Jupiter. Ajoutez que ces femmes ont la tête