inévitables du génie, les défauts que l’on reproche à l’homme s’effacent et vous apparaissent comme les éminentes qualités d’un grand artiste. Que sera-ce si vous laissez la personne pour étudier l’œuvre, si de la cause, dont le côté qui regarde la vie privée reste toujours un peu taché d’ombre, vous passez à l’effet, tout entier dans la lumière ? Quelle symétrie admirable ! quel respect pour la forme ! quelle réalité dans la poésie ! quelle plasticité ! comme toutes ces passions agissent sans se confondre ! quelle logique ! La logique gouverne seule ; c’est elle qui dispose des combinaisons dramatiques. Depuis la Fiancée de Corinthe, où le monde antique et le monde chrétien se rencontrent pour la première fois dans l’étroit espace d’une ballade, jusqu’à cet immense poème de Faust, où ces deux élémens se heurtent dans l’infini, je défie que l’on cite un endroit dans lequel il se soit passionné pour un sujet quelconque plus qu’il ne convient à la sérénité olympienne de son caractère. Cependant, comme il faut toujours que la critique se montre et que le plus beau soleil ait son ombre, je dirai que ces qualités de tempérance, si admirables et si rares, surtout lorsqu’il s’agit d’une œuvre dramatique, me paraissent beaucoup moins convenir à la nature du roman. En effet, la forme du roman, plus intime pour ainsi dire et plus réelle, exige certaine force de sympathie et d’intervention que ne comporte guère le système d’immuable impassibilité. C’est pourquoi je préférerai toujours, quant à moi, Goetz de Berlichingen, Egmont, Iphigénie, le poème de Faust, enfin toutes les œuvres dramatiques de Goethe, aux Affinités électives et même à Wilhelm Meister, malgré le merveilleux caractère de Mignon. Quelles que soient les richesses de style qui vous éblouissent à chaque page dans ces livres, elles ne rachètent pas, à mon avis, l’absence complète de toute sensibilité naïve et l’air desséchant qui s’en exhale. On y voit trop le parti pris de ne point entrer dans les émotions de ses personnages, et, sauf Mignon, que je viens de citer, de les tenir à distance de son cœur. Goethe est peut-être le seul grand poète que l’inspiration n’ait jamais pu ravir à son gré ; il y a chez Goethe une force qui domine l’inspiration ; nommez-la raison pure, égoïsme, sens commun, peu importe ; il n’en est pas moins vrai qu’elle existe. La fée immortelle a trouvé au-dessus d’elle une loi humaine qui la modère et la dirige. Or, c’est ici que nous pouvons à juste titre réclamer la part que nous avons dans le génie de Goethe. Je ne prétends pas dire que la France ait autant contribué que l’Allemagne à former cet homme étonnant, et que sans nous ce nom si splendide manquerait au monde ; mais quand on voit
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