Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/622

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
618
REVUE DES DEUX MONDES.

et d’autres. Alors, dans la composition du drame et dans ses moindres détails, on vit se reproduire une idée fondamentale, l’idée qui domine le poète, de démontrer combien, dans les rapports de la vie les plus divers et les plus variés, une sorte d’oubli graduel de l’état véritable et originel de l’homme finit par conduire à l’exagération la plus fatale, et cela par les sentiers les plus opposés. Je m’explique. — Si, chez Faust, qui représente l’abus le plus grand et le plus noble, après tout, qui se puisse faire des qualités de l’homme, cette exagération éclate par cette incessante volonté qu’il a de convertir la destinée individuelle de l’homme en une destinée universelle où toute chose vienne s’absorber, on peut se convaincre, — en lisant les scènes de la taverne, du jardin chez Marthe, de Lise au puits, les jactances de Valentin à propos de la beauté de sa sœur, — de cette vérité, que l’état originel de l’homme est, d’autre part, non moins foulé aux pieds dans l’ivresse d’une sensualité grossière et d’un désir commun. Sur sa vieillesse, Goethe écrivit le second Faust, conception que lui seul au monde pouvait réaliser. L’unité du premier Faust pesait à sa pensée, il était à l’étroit dans ces dimensions qui nous semblent à nous si vastes ; sa fantaisie inépuisable demandait l’infini, tentative sublime et des plus glorieuses qui se soient faites. Ici plus d’action dramatique, plus de scènes, mais la simple logique des faits substituée au caprice du poète, la pensée humaine dans sa plus haute et sa plus solennelle manifestation. L’Allemagne du moyen-âge ne lui suffisait pas, à cet homme ; il manquait d’air sur la cime du Brocken. Cette fois il traverse l’Océan, pose le pied sur la terre de Grèce, et s’empare du Peneïos. Il y a tout dans cette œuvre, ou plutôt dans ce monde, les syrènes et les salamandres, les néréides et les ondines. En sortant du laboratoire de Wagner, vous entrez dans le champ de bataille de Pharsale, où la Thessalienne Érichto chante dans l’ombre. Le petit homme (Homunculus) que Wagner crée, à force de mélanges, dans une fiole de cristal, prend tout à coup sa course à travers l’espace, et, tout en flottant sur le rivage de la mer Égée, s’entretient avec Anaxagoras et Thalès touchant les principes de l’univers. Une chose à remarquer surtout, c’est le soin curieux avec lequel Goethe a traité les moindres détails de cette œuvre. Jamais, en effet, le grand maître de la forme n’est descendu plus avant dans les profondeurs mystérieuses de son art. Comme il chante sur tous les modes, comme cette riche langue allemande devient souple entre ses mains, et prend, lorsqu’il le veut, le rhythme, la clarté, l’harmonie et le nombre de la langue homérique ! Mais tout cela n’est rien. Pour