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GOETHE.

Méphistophélès. — Est-ce que tu trembles ?

Faust. — Les mères ! les mères ! Cela tinte d’une façon si étrange.

Méphistophélès. — Et cela est. Déesses inconnues à vous, mortels, et que nous autres ne nommons guère volontiers ! tu vas chercher leur demeure dans les profondeurs. Toi seul es cause que nous avons besoin d’elles.

Faust. — Le chemin ?

Méphistophélès. — Aucun chemin ; à travers des sentiers qui n’ont point été foulés et ne le seront pas ; un chemin vers l’inaccessible et l’impénétrable. Es-tu prêt ? Il n’y a point de serrures à forcer, point de verrous ; tu seras poussé par les solitudes. As-tu l’idée du vide et de la solitude ?

Faust. — Tu pourrais t’épargner, je pense, de semblables discours ; cela sent le bouge de la sorcière, cela sent un temps qui n’est plus. N’a-t-il pas fallu avoir commerce avec le monde, apprendre le vide, en instruire à mon tour les autres. Si je parlais raison selon qu’il me semblait, la contradiction éclatait deux fois plus haut. J’ai dû contre ces coups rebutans chercher un refuge dans la solitude et le désert, et, pour ne pas vivre complètement oublié, tout seul, me donner enfin au diable.

Méphistophélès. — Si tu traverses l’Océan, si tu te trouves perdu dans l’infini, là du moins tu verras la vague venir à toi sur la vague. À l’instant même où l’épouvante te saisira en face de l’abîme entr’ouvert, tu verras quelque chose. Dans les vertes profondeurs de la mer paisible, tu verras les dauphins qui glissent, les nuages qui filent, le soleil, la lune et les étoiles ; mais, dans le lointain éternel du vide, tu ne verras plus rien, tu n’entendras plus le bruit des pas que tu feras, et tu ne trouveras rien de solide où te reposer.

Faust. — Tu parles comme le premier des mystagogues qui ait jamais trompé un fidèle néophyte. Au rebours seulement. Tu m’envoies dans le vide pour que mon art et ma force s’augmentent. Tu me traites un peu comme le chat, afin que je te tire les marrons du feu. N’importe, nous voulons approfondir ceci ; dans ton néant, j’espère, moi, trouver mon tout.

Méphistophélès. — Que je te félicite avant de nous séparer ! Je vois maintenant que tu connais ton diable. Prends-moi cette clé.

Faust. — Quoi, cela !

Méphistophélès. — Prends-la d’abord, et garde-toi d’en méconnaître la puissance.

Faust. — Ô prodige ! elle grandit entre mes mains, elle s’enflamme, des éclairs en jaillissent !

Méphistophélès. — Commences-tu à t’apercevoir de ce que tu possèdes en elle ? Cette clé te flairera la place. Suis-la, elle va te guider près des mères.

Faust, frémissant. — Des mères ! Le mot pénètre toujours en moi comme un coup de foudre. Qu’est-ce donc que ce mot que je ne puis entendre ?

Méphistophélès. — Es-tu borné, qu’un mot nouveau te trouble ? Veux-tu n’entendre jamais que ce que tu as entendu déjà ? Quel que soit le son étrange d’une parole, tu as assez vu de prodiges pour ne pas t’émouvoir.

Faust. — Je ne cherche pas mon salut dans l’indifférence ; ce qui fait tres-