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GOETHE.

deux oreilles, et le lendemain recommence de plus belle. Misérable condition, que Faust n’a pas tort de prendre en pitié ! Qu’est-ce donc en effet que le calme de l’existence, s’il faut l’acheter au prix de l’infirmité de sa nature ? N’y a-t-il pas, au-dessus de ces biens relatifs et dont on jouit sans en avoir conscience, quelque volupté absolue où tendent les ambitions généreuses au risque d’être foudroyées ; et ne vaut-il pas mieux être Faust debout sur le Brocken, en butte à toutes les tempêtes qui soufflent sur l’ame humaine du ciel et de la terre, que ce misérable Wagner, qui vit soixante ans heureux, mais bafoué, et ne s’aperçoit pas qu’il sert de jouet ridicule à la destinée ?

Ensuite les trois compagnons se mettent en route pour aller assister à la nuit classique de Walpürgis. Le premier besoin d’Homunculus, c’est d’exister : il faut qu’il puisse se mouvoir dans le libre espace des cieux ; il faut que l’esprit élémentaire se retrempe aux sources fécondes du naturalisme antique, qu’il s’arrête un moment sur les rocs de la mer Égée et s’entretienne avec Anaxagore et Thalès touchant les causes premières. Nous le verrons plus tard esprit de feu, phosphore, plonger dans l’eau sans mourir et former alliance avec l’élément de l’école d’Ionie. Pour Faust, il n’a pas renoncé à sa course aventureuse. Fatigué de chercher dans le présent de quoi satisfaire le désir immodéré qui le consume, il se tourne vers le passé. Il faut que cette activité sans bornes, que les voluptés de la contemplation n’absorbent plus désormais, se rue ailleurs et se dépense. De pareilles natures ne s’arrêtent plus une fois qu’elles ont mis le pied dans la débauche de l’esprit et des sens. Faust a commencé par sonder les abîmes de l’avenir, puis il s’est promené dans le jardin du présent, dont il a ravagé les plus douces fleurs, et maintenant le voilà qui fouille dans le passé. De tels êtres rentreraient dans l’existence ordinaire s’ils pouvaient savoir ce que c’est que la lassitude. Le sentiment de paix et de satisfaction que donne le repos qui suit l’œuvre, est peut-être la seule volupté qu’ils ignorent, eux qui boivent à toutes les coupes de la volupté. Rien ne rebute Faust ; il faut qu’il s’agite et qu’il souffre. Il va, il ira partout et toujours, tant qu’il y aura dans l’espace et dans le temps des mondes et de l’air. À mesure que ses illusions tombent, il les remplace par des illusions qu’il se crée, illusions d’un autre âge et d’un autre ciel. On dirait un arbre immense qui ne se dépouille jamais, ou plutôt qui renouvelle sans cesse son feuillage et ses fleurs, grâce à l’abondance d’une sève mystérieuse qui fournit seule à sa végétation surnaturelle. Voyez-le dans sa fureur insensée ; il quitte Marguerite pour prendre Hélène, il abolit l’amour