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LA GRÈCE ORIENTALE.

les armées de l’insurrection grecque ne s’en emparèrent. Elle a été comprise dans le royaume hellénique, de même que l’île d’Eubée, par le traité qui a constitué la Grèce, traité qui a réservé aux Turcs, habitans ou propriétaires dans l’île, le droit et la facilité de vendre leurs terres et de se retirer ensuite en Turquie. Cinq cents musulmans habitent encore Chalcis, sous la protection des lois grecques. Peut-être se décideraient-ils à rester sujets du roi Othon ; mais un spectacle qui afflige leurs regards ne leur permettra sans doute pas de suivre leur penchant, et de séjourner long-temps dans ce pays qui les a vus naître : leurs mosquées, à l’exception d’une, ont toutes été changées en églises chrétiennes ; la croix domine les minarets, des cloches sont suspendues à leurs charpentes ; on lit l’Évangile là où se lisait le Coran ; des giaours entrent en souliers et en bottes dans le sanctuaire où le vrai croyant n’entrait qu’après avoir quitté ses babouches. C’est là quelque chose de plus poignant que de quitter la terre des aïeux ! et puis les Turcs pensent peut-être qu’ils sont punis par où ils ont péché ; car, à leur arrivée en Grèce, ils transformèrent toutes les églises en mosquées : le Dieu des chrétiens se logea ensuite comme il put. Il y a donc un contraste entre ce qui est et ce qui fut, et ce contraste, à l’avantage de la chrétienté, pousse le Turc à quitter un lieu où le reproche se manifeste incessamment.

Partis de Chalcis à neuf heures du matin, nous avons longé la mer de Négrepont dans sa partie appelée canal de Talanti, pendant cinq à six heures ; après avoir gravi un haut promontoire, nous nous sommes trouvés aux bords d’un golfe ravissant : ses rives sont couvertes d’arbres, et la verdure s’élève jusqu’aux sommets des montagnes. Notre caravane, déjà fatiguée, s’était arrêtée pour prendre un peu de repos et pour partager un reste de viande et de pain. Nous étions tous rangés en cercle, lorsque des cris partirent des rochers qui pendaient, pour ainsi dire, sur notre tête ; ces cris furent répétés au fond du golfe par un certain nombre de voix, et quelques points blancs apparurent, se remuant, au loin, entre les arbousiers. Nos guides armèrent leurs fusils, nous nous apprêtâmes de notre côté, et nous marchâmes assez rapidement vers le lieu où s’agitaient ces cappes blanches. Nous traversâmes au trot, pour y arriver, des taillis tellement épais, qu’à trois pas du sentier, on n’aurait pas aperçu un homme ; au sortir du bois, nous ne trouvâmes personne, les hommes à manteaux blancs avaient disparu, et nous continuâmes notre route sans trop savoir ce que ces mouvemens nous présageaient.

Il y a eu dérangement des habitudes d’ordre et de soumission pendant la révolution grecque : le vol, le pillage étaient devenus licites, comme moyen de nuire à l’ennemi. Le laboureur, d’un autre côté, avait quitté sa charrue et avait pris les armes. À la paix, beaucoup de ces héros des guerres de l’indépendance n’ont pu se résoudre à reprendre leur vie de travail et de fatigue ; cédant à l’influence du climat et aux habitudes d’oisiveté, les palicares ont réclamé des pensions. Vous savez combien il se montre de héros après la paix ; ce fut en Grèce comme partout. Malheureusement les officiers étaient