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laire, on condamnerait la science politique à la stérilité ; puis, par une conséquence funeste, mais forcée, on nous mènerait à conclure qu’il vaudrait mieux que le peuple ne sût rien que de savoir à demi, et qu’il est dans les destinées du genre humain d’aboutir à l’absurde.

Il n’en saurait être ainsi, et la science doit triompher du fanatisme politique comme elle a triomphé du fanatisme religieux. Comment a procédé l’esprit humain pour relever l’autorité de la raison dans la sphère des idées et des passions religieuses ? Quand la foi chrétienne eut pour ainsi dire allaité les nations modernes, et qu’elle leur eut donné les premiers rudimens de la vie morale, elle fut quelque temps en possession d’un empire absolu : c’était à la fois la conséquence et le prix de ses bienfaits qu’on l’acceptât comme la source unique et sacrée des affections et des pensées possibles du genre humain. Peu à peu, cependant, on retrouva des témoignages d’une vie antérieure, des vestiges d’une histoire qui ne portait pas l’empreinte du type évangélique, des fragmens dont la beauté échappait à toute ressemblance avec l’effigie chrétienne. En même temps des opinions nouvelles se levèrent dans l’esprit de quelques hommes, et l’originalité de la pensée moderne s’enfantait elle-même au moment où la majesté séculaire de l’antiquité commençait à reparaître. On ne vit d’abord, ni le lien commun, ni la portée particulière de ces deux mouvemens ; mais ils allaient toujours, c’était l’essentiel. Enfin, plus tard on se mit à conclure, des travaux de la philosophie moderne et de l’érudition, que la pensée ne dépendait pas de la foi chrétienne, et que la vérité, tant métaphysique que morale, qui est le fondement de la vie de l’homme et des peuples, existe par elle-même.

Bien des combats ont été rendus pour nous mettre en possession de ce résultat élémentaire ; mais enfin nous en jouissons, et nous sommes délivrés, en France, tant du fanatisme religieux que du fanatisme anti-religieux. Qui aurait aujourd’hui le mauvais goût de déclamer contre la religion, quand celle-ci, n’ayant plus de prise sur la loi politique et sur la loi civile, est soumise à l’heureuse obligation de ne pas transgresser le saint ministère des consolations célestes ? Aussi, quand a-t-on vu du côté des philosophes une justice plus impartiale, nous pourrions dire plus affectueuse pour le christianisme ? Ce sont eux qui en comprennent le mieux les mérites et l’esprit, et, s’ils ne croient pas à sa vérité absolue, ils apprécient ses titres avec une sympathique équité. On ne les voit pas saisir avidement les occasions d’ébranler ses fondemens historiques : si un homme d’un talent consciencieux et élevé, M. Salvador, publie,