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DU TRAVAIL INTELLECTUEL EN FRANCE.

Aussi, c’est à la raison de se frayer aujourd’hui une route entre l’indifférence et le fanatisme, entre le découragement et l’exaltation. La science, une large compréhension tant du passé que des élémens qui constituent les sociétés, un vif pressentiment des grandeurs à venir du genre humain, peuvent inspirer, pour les questions du présent, un dédain injuste contre lequel il faut se raidir. L’homme n’est pas né pour se dérober aux préoccupations de son siècle, pour esquiver les soucis et les affaires. D’un autre côté, l’ignorance, des notions mal digérées, des idées fausses doivent produire des irritations passionnées qu’on ne peut dissiper qu’en dissipant l’ignorance même, en redressant les idées, en augmentant pour la foule la somme des connaissances. L’indifférence en matière politique doit donc être combattue par l’exercice de la raison même, et il faut dire à ceux qui savent qu’ils doivent aussi vouloir ; à ceux qui ignorent, il faut beaucoup apprendre, et le fanatisme politique veut être confondu par la lumière.

On ne doit pas s’étonner ni gémir outre mesure si, dans les rangs populaires où l’instruction n’a pas encore assez pénétré, on entend des accusations injustes contre certaines institutions sociales, contre certaines formes de gouvernement. Le peuple accuse parce qu’il ne sait pas assez ; instruisez-le davantage, et sa justice commencera. Éclairez sa raison, apprenez-lui, d’une manière simple et claire, ce qui, dans la vie de l’homme et des sociétés, est nécessaire, ce qui est possible ; faites-lui toucher au doigt que de tel établissement politique ne dépend pas son heur ou son malheur ; que les conditions du travail, le bien-être des travailleurs, les richesses des nations, se règlent par des principes supérieurs aux colères de partis, et qu’il sera plus heureux par les paisibles progrès de la société que par ses déchiremens et sa ruine. Dans l’entraînement qui pousse le monde à soumettre tout aux discussions de la raison, il ne faut pas prendre de demi-mesures, ni tenter des haltes impossibles. Puisqu’on a commencé de s’adresser à l’intelligence du peuple, il faut traiter dignement cette intelligence, croire qu’elle peut tout comprendre, non-seulement les faits grossiers, mais même des vérités délicates, moins palpables aux sens, pourvu qu’elles soient claires au fond. Croit-on, pour donner un exemple, qu’il soit bien difficile de faire comprendre à des esprits encore peu cultivés, mais droits, jusqu’où vont la force et la portée de certaines formes politiques, mais où commence leur impuissance, ce qu’on peut légitimement attendre d’elles, ce qu’elles sont incapables de donner. Si l’on niait que ces distinctions et ces nuances puissent être saisies par la raison popu-