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DU TRAVAIL INTELLECTUEL EN FRANCE.

et de forces, on ne remplacera pas Édouard Gans dans la noble mission qu’il s’était donnée d’élever la science à la hauteur d’un sacerdoce cosmopolite.

Il est impossible, à quelque nation qu’on appartienne, de ne pas être frappé de la connexion et de la solidarité des pensées et des intérêts qui préoccupent l’Europe. Le fond de la situation est le même pour tous les peuples, quelle que soit la forme de leur gouvernement. Tous sont régis par des institutions dont les fondemens ont été jetés par les forces instinctives des mœurs barbares, de la féodalité et du catholicisme. Dans la suite des temps, ces institutions se sont trouvées en présence d’idées et de besoins qui n’existaient pas quand elles naquirent. De là, de grandes luttes dont l’Allemagne au XVIe siècle, l’Angleterre au XVIIe, la France à la fin du siècle dernier et au commencement de celui-ci, ont surtout été le théâtre. C’est la phase révolutionnaire dans laquelle tant de choses ont été détruites et la face politique de l’Europe changée sur tant de points. Maintenant, comment les peuples peuvent ils réussir à joindre de nouvelles conquêtes aux satisfactions déjà obtenues ? Ne doivent ils pas comprendre que la situation est changée par leurs victoires mêmes ? La réflexion appliquée au gouvernement des sociétés a pénétré partout ; elle n’inspire pas moins aujourd’hui ceux qui veulent conserver que ceux qui se proposent d’innover. Aussi, le véritable esprit politique est de poursuivre la transformation successive des institutions sous la lumière des idées, et non pas leur éversion radicale. L’avenir de la société européenne ne saurait être de voir tous ses fondemens arrachés du sol les uns après les autres, mais plutôt de sentir dans son sein tous ses élémens pacifiés entre eux par leur développement même. Dans la nature morale comme dans la nature physique des choses, l’homme n’anéantit rien, il modifie, il change ; tout ce qui est doué de la vie, la retient sous d’autres formes, et les puissances réelles sortent toujours des proscriptions injustes, plus fortes et plus vivaces. Au surplus, il y a dans notre siècle, pour les esprits sérieux de tous les pays, une atmosphère de haute et impartiale justice où tous les droits et les intérêts légitimes, où toutes les pensées grandes et vraies sont estimées à leur valeur. C’est même l’honneur du XIXe siècle en Europe, de compter plus qu’aucune autre époque une plus grande masse d’hommes éclairés qu’unit le lien commun de la réflexion philosophique. Aussi, pour tous le devoir social est de poursuivre l’application des principes qui sont tenus pour certains et de déduire le bonheur de la vérité.


Lerminier.