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sans servis par la faiblesse du pouvoir impérial, ou aidés par la protection des rois barbares.

Nous devons à deux défauts de Sidoine Apollinaire des renseignemens précieux sur le temps où il a vécu. Ces deux défauts sont la passion de décrire et la manie d’imiter. Comme ceux qu’il imitait avaient décrit, il a cru pouvoir décrire aussi. Comme Pline le jeune, par exemple, avait décrit sa maison de campagne de Laurentum, Sidoine n’a pas cru devoir nous faire grâce de la sienne, et par ce morceau aussi bien que par quelques autres du même genre, nous pouvons nous faire une idée de ce qu’était l’existence à la campagne d’un grand seigneur gaulois au Ve siècle.

Dans une épître à son ami Consentius, Sidoine raconte comment se passait la journée chez cet ami. On commençait par aller à l’église ; ensuite on faisait des visites dans les châteaux des environs, on voisinait ; seulement, l’usage était de faire les visites de grand matin, car on rentrait à la quatrième heure, c’est-à-dire vers dix heures ; puis venaient les jeux de la campagne, auxquels il était d’usage de se livrer dans ces opulentes habitations : c’était la paume, les dés, une espèce de toupie qui, à ce qu’il paraît, était un jeu élégant ; on allait au bain, puis on dînait, mollement étendu sur des lits placés entre les statues des Muses. On peut joindre à cette épître une pièce de vers de Sidoine Apollinaire sur le château de Paulinus Leontius, situé sur les bords de la Garonne. L’éloge de cette demeure est placé dans la bouche d’Apollon, qui s’adresse à Bacchus pour l’engager à aller s’établir avec lui chez Paulinus.

Malgré le cadre mythologique, il y a ici description et description exacte, minutieuse, précise. Nous n’avons pas, comme tout à l’heure, le récit d’une journée à la campagne, mais le tableau complet d’un établissement rural composé d’un château et de ses dépendances. Je dis château, car le burgus de Paulinus est fortifié. Toute la hauteur sur laquelle il est placé est entourée de murailles ; des tours élevées la dominent. L’auteur ajoute que ces murs seront en état de résister à tous les siéges ; plus loin, il parle de remparts (propugnacula).

C’est ainsi qu’une maison de plaisance et tous les bâtimens adjacens, enfermés dans une enceinte de murailles, sur un sommet élevé, formaient un lieu fortifié, castrum ou castellum, d’où castel. Cette association d’une habitation de luxe et de précautions pour la défense est ce qui constitue l’origine du manoir ou château du moyen-âge. On voit que les châteaux, comme plusieurs autres élémens de la vie moderne, remontent aux derniers temps de l’empire.