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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/699

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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

quolibets des gondoliers ; on y voit des bergères qui épousent deux maris pour obéir aux oracles de Vénus, d’autres sont entourées de vieillards lascifs dans lesquels on peut reconnaître les oisifs de la place de Saint-Marc, elles ne peuvent pas sortir de chez elles sans s’exposer à être violées. L’églogue pour Calmo n’est qu’un masque ; mais ce déguisement a un charme que rehausse encore l’habileté de la composition, et l’on aime à voir Venise à travers le voile de la fiction pastorale.

Dans les comédies de Calmo, les mauvaises qualités de ce poète concourent pour produire des effets nouveaux. Son bavardage donne de la légèreté au dialogue, sa fantaisie est forcée de se contenir, parce que la marche de la pièce est toujours pressée par les évènemens ; les couleurs vives et heurtées communiquent à ses drames un attrait de plus, et les peintures de Venise qui troublaient l’harmonie des églogues y répandent un intérêt extraordinaire. Il ne faut pas chercher de la morale dans Calmo : il vivait au XVIe siècle ; alors les Castellani et les Nicoloti se tuaient de gaieté de cœur ; les amans portaient le poignard ; il y avait une foule d’assassins à gages ; les femmes publiques tenaient grande maison, et le luxe des passions italiennes débordait naturellement sur le théâtre. La scène de Calmo est encombrée, comme celle de l’Arétin, de courtisanes, d’entremetteurs, de bravaches, etc. ; il va sans dire que l’auteur vénitien est inférieur au poète italien, mais il avait un avantage sur son célèbre contemporain, celui de parler les patois, de mêler dans ses pièces les dialectes de la moitié de l’Italie et par conséquent de s’adresser à l’Italie populaire. Aussi ses succès étaient-ils éclatans. Quand on jouait le Travaglia ou la Spagnolas, la salle du spectacle était assiégée par le peuple ; on tâchait d’y pénétrer par les fenêtres, on traversait les toits des maisons, on marchait sur les gouttières, on risquait sa vie pour lorgner un lambeau de la représentation. Calmo était fils d’un gondolier ; il mourut en 1571.

La carrière lyrique de la poésie vénitienne s’ouvre dans les premières années du XVIe siècle, par des chansons gaies, railleuses, pétillantes de passion et d’impertinence, exprimant un amour fou, endetté, toujours alerte pour commettre une billevesée, incapable d’aucune action sérieuse. « Si la crainte, dit un poète, ne m’en empêchait, je voudrais me tuer, ma maîtresse m’a tout promis, elle m’a pris jusqu’au dernier sou, je suis au désespoir, mais je suis fou d’amour. » Cette strophe peut servir de programme à tous les poètes vénitiens depuis Calmo jusqu’à Bona (1550-1650). Veniero[1] est le meilleur d’entre eux. Il est admirable par l’harmonie, la richesse et l’éclat de ses chansons ; son amour touche presque à la tendresse, quoiqu’il ne puisse cacher ni un fonds d’ironie, ni l’embarras des dettes. Ses plus belles chansons sont l’éloge d’une femme en haillons et la lamentation d’un ouvrier obligé de mettre en gage jusqu’à son poignard d’argent pour faire sa cour à sa maîtresse. Les vers de Veniero sont intraduisibles : la phrase vénitienne y est maniée avec une hardiesse inouïe ; on ne peut traduire cette poésie à la lettre sans la fausser, et

  1. Né en 1550, mort en 1586.