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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

passionné pour lo scrivere purgato. Le style de Gritti, dans ses œuvres écrites en vénitien, est d’une variété extraordinaire ; on regrette de voir enfouies dans un patois des beautés si pures, une connaissance si profonde des ressources de l’art, et une manière si neuve d’entrelacer les tableaux et les parodies sans nuire à l’élégance.

Gritti ne mourut qu’en 1806. De son vivant, la poésie vénitienne subit une dernière phase ; elle devint légère et coquette ; elle adapta le patois à de nouveaux sujets, à de nouveaux interlocuteurs.

C’est la femme qui inspire les dernières œuvres de cette littérature. La Vénitienne est spirituelle, légère, grondeuse, elle tient de la bizarrerie de Naspo ; dans les comédies de Goldoni, elle fait marcher de front six intrigues sans se compromettre ; dans l’Observateur de G. Gozzi, elle renvoie les amis qui n’osent pas demander ce qu’elle brûle d’accorder ; dans les drames de Charles Gozzi, elle plane sur une région magique où Arlequin et les sorciers essaient en vain de découvrir une fille innocente. Lamberti observe la femme de Venise au milieu des cafés, des concerts, des casini. Souvent, quand il parle de sa ville natale, des Vénitiennes, de sa maîtresse, l’envie de railler le prend ; la tendresse qui éclate dans toutes ses descriptions, en fait mieux ressortir alors la légère ironie. Lamberti a écrit un poème sur les quatre saisons de l’année. Il trace le tableau de l’hiver à la ville : c’est une vie d’ivresse et d’étourdissement qui commence à midi dans les cafés, et finit avec la nuit au milieu du jeu et de l’amour. Le printemps est une causerie de Philis, qui raconte ses promenades avec de nombreux galans, les amours de ses amies ; puis viennent les visites, les chuchotemens, les grandes soirées, la médisance, les éclats de rire, une foule de petits riens pleins de charmes. Pour peindre l’été, Lamberti nous montre Tonina à sa toilette entre la femme de chambre et le poète ; tous les travers, toutes les naïvetés, toutes les aimables impertinences de la jeune Vénitienne, Lamberti est parvenu à les traduire dans sa poésie avec une vérité saisissante. Ses strophes rendent par des mouvemens admirables la légèreté, les caprices du babil ; les joyeuses médisances bondissent dans ses vers de six syllabes ; le bavardage pétulant de la Vénitienne est rendu dans toute sa mélodie ; la volubilité de ses bouderies, de ses câlineries, a passé dans le mètre et jusque dans la moindre des phrases. L’automne est une espèce d’amende honorable ; Lamberti n’ose plus railler, il est doux, soumis, il porte docilement le joug de la vie vénitienne ; au corso de Treviso, au casino de Padoue, il est toujours à côté de Tonina, mais il est prêt à étudier le beau monde, à critiquer sérieusement les vieilles modes, et pour la cause la plus légère, il s’abandonnera à la folle gaieté de son pays.

La poésie vénitienne finit avec Lamberti. À Venise, on a voulu lui donner un successeur dans Buratti ; mais celui-ci n’a eu ni la force, ni le caractère, ni les instincts du poète vénitien. Il a écrit des sonnets pour des chanteuses, pour des danseurs, quelques quatrains pour des noces et des dîners ; il a affecté cette fainéantise dont Lamberti subissait l’empire à regret, et il n’a rien laissé de remarquable, si ce n’est un éloge de l’empereur François Ier, qu’il appelle