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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/708

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REVUE DES DEUX MONDES.

la mascarade monta sur les tréteaux, se recruta de toutes les caricatures italiennes, partagea l’inspiration des patois, et, cessant d’être un divertissement propre au carnaval, courut tous les théâtres de l’Italie. Telle est l’origine de la comédie de l’art ou de la comédie impromptu, qu’on improvisait, le masque au visage, en employant les idiomes des municipes italiens[1]. À vrai dire, les savans la font remonter jusqu’aux atellanes des anciens ; on montre dans saint Thomas des passages qui font allusion à des farces populaires ; on prouve que ces farces n’ont jamais été abandonnées dans le moyen-âge ; on montre sur des vases anciens des masques qui ressemblent à Polichinelle ; il y a même dans Cicéron une jolie phrase qu’on pourrait très bien appliquer aux lazzis d’Arlequin[2]. Il est possible que des réminiscences de la scène antique aient traversé le moyen-âge avec celles des saturnales. Quoi qu’il en soit de la question archéologique, si les tréteaux sont anciens, la scène, l’art, les personnages sont modernes. Venise, la ville du carnaval, a toujours été le centre de la comédie de l’art ; ses acteurs ont toujours gardé le masque, les patois, et précisément les patois des provinces vénitiennes ; et toujours improvisateurs, toujours en dehors des traditions classiques, à toute époque ils ont fait cause commune avec les littératures municipales contre la littérature nationale. Dès le XVIe siècle, la comédie de l’art luttait contre la comédie italienne, ou, en d’autres termes, contre la comédie écrite et nationale. — « Nous sommes Bergamasques et Vénitiens, disaient à Florence les improvisateurs ; nous parcourons toutes les villes d’Italie, la foule est à nous, on se réjouit à nos spectacles ; mais vos pauvres comédies italiennes, à force de tirades, font bâiller les marbres ! » — Le théâtre national italien était entretenu à grands frais par les princes et par les académies ; on l’appelait le théâtre de l’académie ; il jouissait d’une gloire tout aristocratique, mais le peuple courait aux représentations populaires. À la chute de la littérature italienne, les représentations académiques furent entièrement supprimées (1620), et les acteurs impromptu se perfectionnèrent et se multiplièrent avec une rapidité prodigieuse. Vers 1690, les efforts tentés pour restaurer la littérature italienne causèrent de sérieux embarras à la comédie de l’art ; elle perdit ses meilleurs acteurs, ses pièces les plus saillantes ; cependant elle se tira encore de cette crise et déjoua ses adversaires. La lutte se renouvela au XVIIIe siècle avec plus d’ardeur que jamais, et cette fois encore le théâtre italien obtint à Venise quelques avantages ; mais la comédie de l’art ne mourut qu’avec Venise.

La comédie impromptu n’a laissé de traces que dans des chroniques de coulisse, où il n’est question que du talent des acteurs[3], et dans quelques

  1. Les Italiens voyaient dans l’improvisation un art, et l’opposaient à l’art poétique proprement dit, qui exprimait l’inspiration nationale sous une forme plus laborieuse. Les comédiens improvisateurs s’intitulèrent en Italie comédiens de l’art, et le mot comedia dell’arte resta naturellement à la comédie impromptu, opposée systématiquement par les improvisateurs à la comédie classique.
  2. Toto corpore ridetur.
  3. Voir Riccoboni, Quadrio, et Histoire du théâtre italien à Paris, etc.