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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

comédies en patois[1], écrites sous l’influence des littératures municipales. En compulsant ces matériaux, nous avons trouvé que l’histoire de la comédie de l’art doit être divisée en cinq périodes.

Dans la première période, cette comédie paraît à la cour de Léon X ; elle égaie les mascarades de Florence, elle stationne à Venise et à Padoue, court l’Italie, et se montre jusque parmi les garnisons vénitiennes de Candie et de Corfou. Partageant la scène avec la comédie italienne, elle traite les mêmes sujets que cette dernière, et représente des intrigues de courtisanes, des enlèvemens de jeunes filles ou des aventures d’étudians. Ses personnages sont ceux de l’Arétin : des femmes insignifiantes, des pères débonnaires, des prostituées, des marchands, un pédant qui sert d’entremetteur à son élève, tout en lui citant Sénèque au rebours ; quelques assassins, des juifs et des sbires, pour compléter la moralité de la scène. Appartenant à la même époque, les deux comédies devaient en effet se ressembler par les personnages et les sujets ; mais là s’arrêtait l’analogie, et, dans tout le reste, la comédie de l’art se montrait parfaitement indépendante. Elle se détachait des souvenirs classiques jusqu’à oublier Boccace, qui tient de si près aux comédies de l’Arétin ; elle multipliait à loisir les valets et les bouffons, elle brodait ses improvisations de tours de force et de culbutes, et ne connaissait ni règles ni mesure dans le luxe des accessoires. Les acteurs impromptu étaient en même temps poètes et baladins, et ils reproduisaient tout un carnaval à chaque représentation. La comédie de l’art mettait à contribution tous les pays de l’Italie. Milan, Messine, Bergame, donnaient les valets, Venise les pantalons, la Romagne les amoureux et les crocheteurs, Naples les polichinelles et les capitaines. À tous les incidens de la comédie se rapportaient des personnages créés exprès, et dont le masque et le langage représentaient une contrée, une ville de l’Italie. Ces niais, qui, dans les comédies italiennes de Parabosco et de Bibiena, s’attendent à être transformés en perroquets ou en chevaux, ou croient devenir invisibles au moyen de quelque sorcellerie, étaient, dans la comédie de l’art, des arlequins de Bergame ou des pantalons de Venise ; les personnages vagues de fourbes, d’intrigans, d’astrologues, devenaient des Romagnols, des Bolonais. Si la comédie italienne compliquait l’intrigue par l’équivoque d’un valet ou d’une lettre, la comédie de l’art introduisait le Bègue, et personnifiait ainsi jusqu’à l’équivoque. Il n’y avait pas de bouffonnerie qui ne pût marcher avec le secours de ces mascarades.

Calmo, Ruzzante et Molino ont transporté dans leurs comédies ces improvisations, qui s’effaçaient de la mémoire des autres poètes quand ils avaient quitté la scène. Nous avons déjà parlé de Calmo. Ruzzante était le plus grand bouffon de Padoue : il passait l’été chez un Cornaro de Codevico, et là, ayant appris le langage des paysans, il s’en servait pour jouer des tours plaisans à tous les habitans du village ; souvent il se déguisait, il courait les rues, arrêtait

  1. Voir Calmo, Ruzzante, Molino, Gattici, Pasqualogo, Dolfin, Cini, etc., etc.