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DE LA LITTÉRATURE POPULAIRE EN ITALIE.

mérite de Gozzi, considéré comme libre traducteur, n’est pas fort grand sans doute ; pourtant il est le seul poète italien qui ait fixé par écrit cette comédie vénéto-espagnole improvisée par les grands acteurs du XVIIe siècle. Ce n’est pas que ces sortes d’imitations de l’espagnol manquent à la littérature dramatique de l’Italie ; au contraire, elles n’y occupent que trop de place. Andreini et Cicognini n’ont pas fait autre chose que travailler d’après le théâtre espagnol ; ils ont usé et abusé de toutes les ressources du romantisme ; assassinats, catastrophes, coups de scène, portes dérobées, apparitions féeriques, esquisses comiques et pastorales, rien ne fut épargné dans leurs drames ; ils sont allés jusqu’à mettre en scène la création du monde. Mais, toujours entravés par les traditions de l’ancien théâtre académique, et par le souvenir de ces unités rigoureuses que leur imposait une scène de salon, jamais ils n’ont su trouver la véritable inspiration espagnole. Andreini et ses compagnons obtenaient de grands effets par l’improvisation, par les patois, par cette exaltation momentanée que produisent l’attention du parterre, les applaudissemens populaires. Mais quand ils écrivaient, ils se trouvaient entre deux écoles, deux manières, deux langues, deux nations opposées, l’italienne et l’espagnole, ils accouplaient une tradition classique épuisée aux formes jeunes et hardies du théâtre étranger, et cette union ne produisait que des monstres. Les imitations libres de Gozzi, sans révéler un talent bien remarquable, sont cependant les seules pièces écrites, où la fusion de la comédie de l’art et de la comédie espagnole ne se trouve pas empêchée par l’influence classique italienne. C’est que Gozzi s’était inspiré aux sources des véritables poésies populaires de l’Italie, je veux dire Venise et Naples : ce n’était pas le Tasse, mais Basile, qui était son maître ; il avait trouvé dans sa propre imagination le mouvement rapide de la scène espagnole, dans ses drames il avait su presser le dialogue par l’action, étonner, éblouir, écarter la réflexion à force d’entraînement, multiplier les personnages et par là agrandir la scène, montrer un peuple au lieu de quelques individus. Quand il aborda le théâtre espagnol, il put faire paraître les types de Pantalon et d’Arlequin à côté des héros de l’Espagne, des amoureux de Calderon, les mêler à ces bals, à ces sérénades qui finissent à coups d’épée ; il put réduire le théâtre espagnol pour l’usage de Venise, sans défigurer sottement les écrivains qu’il imitait. Les comédies espagnoles de Gozzi font revivre pour nous l’improvisation de Flaminio Scala et d’Andreini ; en d’autres termes, elles expliquent la grandeur de la comédie de l’art au XVIIe siècle. La poésie vénitienne détestait les tendances classiques ; elle était libre, populaire, elle n’avait pu se révéler d’abord que par des bouffonneries plébéiennes. À la décadence du théâtre de l’académie, elle tendait vers la fusion de deux nouveaux genres, la pastorale et le drame fantastique ; la comédie espagnole partageait l’inimitié de la poésie vénitienne pour l’influence classique ; et par la manière grandiose dont elle embrassait la société, elle pouvait contenir en même temps l’inspiration chevaleresque et l’inspiration populaire, l’héroïsme et la plaisanterie, les hauts faits de la noblesse et les causeries des manans. Au