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LES VICTIMES DE BOILEAU.

Qui va nous conduire au levant !
À toi, la belle et petite Ourse !
À toi, lampe de notre course,
Quand le grand fallot est gisté !
Il n’est point d’humeur si rebourse
Qui ne se crève à ta santé !

Ce n’est pas si mal ; malgré la trivialité du dernier vers et sa nullité grossière, l’élan est rapide, le rhythme vigoureux, la mesure heureuse, la rime opulente, le mouvement naïf. Il a conservé la tradition de Ronsard, qui, le premier, enseigna la bonne forme lyrique ; il mêle à cette forme savante une facilité plus naïve. Cet homme sera poète ; il en a toute l’étoffe, si le grotesque, le bizarre, le ton soldatesque, ne le dominent et ne l’entraînent pas. Il saisit l’aspect poétique des objets ; il peint de couleurs animées le vaisseau amiral et ses banderolles flottantes :

Au gré de maint doux tourbillon
Je vois cent flammes secouées ;
Cent banderolles enjouées
Y font la cour au pavillon ;
Ici, l’or brillant sur la soye
En une grande enseigne ondoye,
Superbe de couleur et d’art ;
Et là, richement se déploye
Le grave et royal estendard.

Ne reconnaissez-vous pas ici beaucoup de mouvement et de facilité ? Le chapeau du cardinal-roi brille sur la bannière, et « le feu de sa pourpre éclatante, » astre rouge qui guide l’armée, réjouit le cœur du poète. La flotte s’engage dans le détroit de Gibraltar. Voici d’Harcourt le Rond, qui paraît sur la poupe, un verre à la main, trinquant à l’équipage :

Déjà sur le haut de la poupe,
Pour me pléger[1], il prend sa coupe,
Où pétille et rit le nectar,
Et s’écriant : Masse ! à la troupe,
Sa voix étonne Gibraltar !

Même richesse de rime, même chaleur d’exécution. Vous avez admiré ce vers, bien trouvé, souvent répété :

  1. Pléger, « to pledge, » mot conservé par les Anglais ; provoquer à boire. Masse ! était le signal de boire ensemble.