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Page:Revue des Deux Mondes - 1839 - tome 18.djvu/766

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REVUE DES DEUX MONDES.

 « La coupe,
« Où pétille et rit le nectar. »

Il y en a mille semblables chez Saint-Amant. L’expression hardie et poétique jaillit sans peine de sa verve. Rhythme, facilité, fertilité, audace, il a tout, excepté le goût qui dispose, modère et harmonise. Ce goût régulateur, il l’obtiendrait peut-être, s’il laissait se développer en lui la sensibilité, la méditation, la passion. Mais quoi ! il n’a de passion que celle du vin, la plus commode et la plus brutale ; il vit et vivra toujours en soldat parasite. Il veut rire et faire rire. Devant les crêtes nuageuses de Gibraltar, sa mythologie lui revient en mémoire. Il parle ainsi au vieil Atlas : — « Relève-toi, vieux crocheteur ! nous ne t’en voulons pas ; nous te laissons ton titre de monarque des portefaix ! Quant à vous, divinités marines, prenez garde, s’il vous plaît. Un boulet de nos sabords pourrait tomber sur la table de votre festin, briser vos salières, renverser vos sauces, et s’il heurte par hasard

« Une baleine au court-bouillon ;
« Neptune en aura sur les chausses,
« Et Vénus sur le cotillon. »

Poésie sans dignité, sans élévation, sans enseignement, vouée à l’ivresse des sens ou à l’amusement d’une troupe d’ivrognes. Les tritons dansent aux yeux de Gérard ; les néréides se pressent autour du navire. « Elles font caresse et honneur à la flotte ; les unes s’exhaussent en souriant, d’autres ne laissent paraître que leurs tresses noires au-dessus de l’onde bleue. On entrevoit mille formes nues, qui se dévoilent pour s’évanouir. » C’est Rubens même, un tableau sensuel, la séduction de l’homme physique, l’attrait commun de la forme et de la couleur. Chaleur inutile, verve perdue, esprit stérile, coloris sans valeur ! Les arts de la peinture et du dessin peuvent se contenter de ces mérites ; la beauté de l’exécution les relève. Callot, la vigueur de son trait, la précision de ses contours, la vérité fine, folle et naïve de ses portraits, offrent l’idéal grotesque que Saint-Amant et ses contemporains ont vainement essayé d’importer dans le domaine littéraire. Bannir de l’œuvre poétique le type du beau, le choix, l’exquis, l’harmonie, la chasteté, c’est blesser l’éternelle morale de l’art, qui a ses règles spéciales. Ils ont anéanti leur gloire ; ils ont frappé de stérilité leurs mérites naturels, ce mouvement de l’esprit, cette verve prompte, qui brillaient chez plusieurs d’entre eux.

Hommes de caprice, qui sentaient encore la ligue, la Menippée