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LES VICTIMES DE BOILEAU.


Mais à peine cette herbe[1] est-elle mise en cendre,
Qu’en mon premier état il me convient descendre
Et passer mes ennuis à redire souvent :

« Non, je ne trouve point beaucoup de différence
De prendre du tabac à vivre d’espérance,
Car l’un n’est que fumée et l’autre n’est que vent ! »

Cette vie de mauvais sujet ne l’empêchait pas de se distinguer comme homme de guerre et comme versificateur. Après avoir aidé Cadet-la-Perle à battre le marquis de Léganès et le prince Thomas de Savoie, il voyage en Angleterre avec son maître, que la France envoie pour apaiser les querelles du parlement et de Charles Ier. Saint-Amant adresse à ce malheureux roi une ode détestable, qui, cependant, commence par deux agréables strophes :

Dieux, en quel aimable séjour,
En quel lieu de gloire et d’amour
M’ont conduit Zéphire et Neptune ?
Suis-je en ce doux climat des astres adoré,
Où bien loin de toute infortune,
Les cieux ont refleurir le beau siècle doré ?

Ce plaisant fleuve que je voy,
Se couler si bien après soy,
Fent-il les champs de l’Angleterre ?
Pressai-je ce terroir aux herbages épais,
Qui voit toute l’Europe en guerre,
Cependant qu’il jouit d’une éternelle paix ?

Fantaisie poétique, bonne pour obtenir quelques écus. Ce pays adoré et paisible, qui allait couper la tête à Charles Ier, joua d’assez mauvais tours au poète. On lui fit mal la barbe, on lui vola sa bourse pendant qu’il cuvait son vin ; crimes dont il se plaignit amèrement à Bacchus :

Dieux, qui voyez qu’on m’escroque en dormant,
Auquel de vous faudra-t-il qu’on se fie,
Puisque Bacchus a trahi Saint-Amant !

Le reste de la complainte fait pitié, sur ma parole :

Je perds tout en Angleterre,
Poil, nippes et liberté.

  1. Le tabac.