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REVUE DES DEUX MONDES.

J’y perds et temps et santé
Qui vaut tout l’or de la terre.
J’y perdis mon cœur que prit
Un bel œil dont il s’éprit
Sans espoir d’aucun remède ;
Et je crois, si Dieu ne m’aide,
Qu’enfin j’y perdrai l’esprit.

Brave prince dont la gloire
Vole dans tout l’univers,
Vois de mes malheurs divers
L’étrange et fallotte histoire.
Je n’ai pas un quart d’écu,
La tristesse m’a vaincu ;
Je ne fais plus rien que geindre
Et pour m’achever de peindre —
Un froncle .......

Je ne puis, quelle que soit la liberté permise à l’historien littéraire, vous dire le dernier vers de ces deux strophes, vers irréprochable pour la rime et non pour la décence. Le ton a de la facilité ; on reconnaît le poète rompu aux artifices de son art. Notre ami l’était devenu, personne n’en doute, et nous le prouverons bientôt par de nouveaux exemples. Les folies et le décousu de sa vie errante avaient seuls dépravé, en la déshonorant, cette verve et cet instinct. Il suit encore Henri d’Harcourt, qui n’est plus le gourmand débauché dont Tallemant a redit l’histoire, mais un grand capitaine. Saint-Amant ne profite guère de la marche ascendante qui entraîne son héros. Il rime mieux et boit davantage, deux mérites dont le progrès ne rapporte pas un bénéfice proportionnel à la dépense qu’ils exigent. Son ami Faret, mauvais sujet par habileté et par calcul, était revenu à Paris faire sa fortune. Tout à coup Saint-Amant, dégoûté de « mettre le feu à la mèche du serpentin, » et voyant qu’à ce métier de bouffon et de soldat, de poète et d’ivrogne, il ne gagnait rien que de l’âge et du ventre, laissa d’Harcourt se faire battre à Lérida, et, pris d’un accès d’ambition littéraire, revint à Paris. On l’aimait. On aime toujours ces bonnes gens dont les vices sont gais, et qui, livrés à l’égoïsme de leurs sens, oublient celui de leur fortune. L’Académie venait d’éclore ; on l’y plaça. L’assiduité des séances, exigée de ses membres par la jeune assemblée, ne lui convenait guère ; on l’en exempta, sous condition qu’il rédigerait la partie comique du dictionnaire et recueillerait les mots burlesques et grotesques ; c’était concilier le respect