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ami Faret ! Louis XIV écouta quelques vers, fronça le sourcil, et défendit qu’on lui reparlât jamais de cet homme. C’était un arrêt de mort pour Saint-Amant. Il mourut sur le coup.

Le cercueil du bon gros, mort rue de Seine, sur sa paillasse, après avoir trinqué avec tant de princes et réjoui deux reines, était descendu dans la terre depuis six années, quand Boileau déterra le cadavre et se mit à le honnir. Il n’avait recueilli sur cette vie étrange que des bruits vagues et traditionnels, qu’il consigna dans des vers mensongers :

« Saint-Amant n’eut du ciel que sa veine en partage :
L’habit qu’il eut sur lui fut son seul héritage ;
Un lit et deux placets composaient tout son bien.
Ou, pour en mieux parler, Saint-Amant n’avait rien.
Mais, quoi ! las de traîner une vie importune,
Il engagea ce rien pour chercher la fortune ;
Et tout chargé de vers qu’il devait mettre au jour,
Conduit d’un vain espoir il parut à la cour. »

Peinture inexacte. Saint-Amant appartient à la race des Cinq-Mars, des Luynes, des Guises, tous aventuriers brillans. Il tient aussi, par sa vie nonchalante, aux Marot, aux Voiture et aux Benserade, gens de cour et de plaisir. Né de parens honorables, commensal des grands seigneurs, admis dans l’intimité d’un prince illustre, c’était un gentilhomme bon vivant, mais non un mendiant de bas étage. Il n’avait pas attendu son dernier voyage à Paris pour se produire à la cour, et surtout pour publier ses œuvres, qui, depuis l’an 1627, c’est-à-dire depuis trente-quatre ans, étaient imprimées. Il avait vécu dans plusieurs, aimé de la reine de Pologne et de Christine de Suède. Quand cette princesse vint à Paris, et que l’Académie française lui fut présentée, elle reconnut avec plaisir Saint-Amant.

Boileau voulait plaire à la cour nouvelle, en calomniant la cour ancienne. Le public était son complice. Déjà pâlissaient les étoiles de Balzac, le rhéteur égoïste ; de Viaud, l’extravagant. On était injuste envers eux. Enfans vigoureux et débauchés d’un temps irrégulier, génies sans harmonie et sans tenue, imaginations sans raison, vivacités sans style et sans art ! À tous, il leur avait manqué le sérieux. Sous la gravité ou la grâce de leur allure, on apercevait toujours la légèreté puérile et le défaut de bon sens. Nous verrons bientôt le pompeux Balzac bouffonner voluptueusement à propos des choses les plus graves, décrire en périodes alambiquées ses longues siestes de Rome